"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

16/12/2008

Des racines sous le béton ?



« France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix. »
Joachim Du Bellay
Je me souviens de mon adolescence et de cet étrange sentiment qui m’habitait lorsque je prétendais ne pas regarder avec mon père les matchs de football à la télévision. Finale de l’Euro en 1984. Ostentatoirement plongé dans Cioran, je jette néanmoins des coups d’œil torves à l’écran, comme s’il projetait un spectacle indécent. Faut que la France leur foute une branlée aux Espagnols. Qui a dit ça ? Personne n’a parlé ? C’est donc moi qui l’ai pensé ? Disons le gros beauf qui gisait en moi. Le salaud, qu’est-ce qu’il foutait là ? Que faire de mon « chauvinisme », comme on disait alors ? Que faire de ce désir illégitime, vicieux, de voir la France triompher ? Pourquoi ne pouvais-je me défaire de cet attachement ringard, plus que ringard, incompréhensible et coupable, à l’équipe de France de Football, Platini-Giresse-Tigana-Fernandez ? A seize ans, français et chauvin malgré moi. Malgré tout ce que me dictait ma conscience, je ne pouvais me débarrasser d’un fond franchouillard. Franchouillard, le mot qui fout la honte. Il fallait partir, voir ailleurs. Profondément, intimement, je ressentais l’appel du grand large. Avec la bénédiction parentale et leur soutien financier souvent, les voyages aux Etats-Unis, plus tard au Japon, plus tard encore en Chine. Voilà ce qui plaisait aux filles, voilà la seule chose qui me rendait intéressant, différent du tout venant qui sillonnait comme moi la banlieue sur une sempiternelle 103 SP.

Mais ce goût de l’ailleurs qui, me semblait-il, m’appartenait en propre, mon désir de foutre le camp, était-il vraiment une rupture avec l’enfance ? Je l’aurais juré, alors. Je quittais ma banlieue « pourrie », vite la gare, vite le RER, Châtelet, Orly. Ailleurs, je respire, j’existe, je suis moi.

A la réflexion, la quarantaine venue, je n’en suis plus si sûr. Dans une banlieue sans Histoire et sans histoires, la mienne, l’arrachement moderne allait de soi, c’était un destin. Mon désir d’ailleurs, une vaine surenchère sur ce destin. Pavillon années 70, panneau de basket devant le garage, gazon propret, le samedi direction l’hypermarché qui trônait au cœur d’un immense centre commercial, arrogant monument prétendant se substituer à la ville sur laquelle on l’installait. Le centre commercial, plus radical qu’une cathédrale qui elle n’a jamais cherché à remplacer le monde ancien, mais seulement le subvertir, le réorganiser. Se souvient-on de ces villes 2, de ces immenses centres commerciaux créés autour de Paris pour cacher la vieille banlieue ou recouvrir l’obsolète campagne? Un rêve de nouveau monde qui remplaçait avantageusement l’ancien, banlieusard ou campagnard, ouvrier ou agricole, que nos parents voulaient oublier. Le nouveau monde près de chez vous. Internet avant Internet. Inutile de traverser l’océan. Ce nouveau monde a alors colonisé l’ancien avec son assentiment le plus total. Les trente glorieuses ont rêvé de débarrasser la nouvelle Europe apaisée de son Histoire tortueuse et de ses conflits millénaires. D’ensevelir cette vieille Europe tricarde d’elle-même sous une couche de béton. Cachez cette terre française gorgée d’un sang impur ! Celui de nos ancêtres morts pour cette obsolète patrie, victimes ou bourreaux impliqués dans obscures querelles que nuls aujourd’hui ne saurait plus débrouiller ! Le crime nazi et la collaboration française écrasent tout. Le passé est mauvais, un point c’est tout ! A coup de bétonneuses, le monde s’est brutalement vidé de son sens. Les choses sont devenues des objets, alignés sur des rayons d’hypermarché, « à profiter ». Le monde n’avait plus aucune vocation à durer. Il devint artificiel, consommable, malléable. Les racines brutalement coupées, étouffées sous le béton. Je suis né sur cette plateforme, cette dalle sur laquelle tout glisse.

Notre ancienne religion est devenue une superstition, c’est-à-dire un rite incompréhensible. A la place, culte de l’Amérique et de l’Américain, du lointain, obsolescence du prochain, amour de l’avenir, haine du passé, ou alors amour du passé mais folklorisé, mis à distance et neutralisé, comme une bête sauvage dans un zoo. Equivalence des formes et des cultures. Le tout moderne à la maison. Le regard fixé sur l’horizon, malgré la crise et les difficultés qui commencent.

A 16 ans, en ringardisant la vieille France moisie j’avais donc tout fait comme il le fallait. C’était au temps où L’Idéologie Française régnait en maitre dans les esprits, jusque dans la classe moyenne moderne de mes parents, sans qu’elle en ait nécessairement conscience. Gauche moderne contre droite libérale. Tous ou presque étaient d’accord pour tenir le passé à distance. Mon grand-père, mon cher grand-père, fils de tout petits paysans était un lepéniste honteux, je ne l’ai appris qu’à sa mort en 1997. Ringardise de l’attachement à la communauté. Je me croyais malin et libre-penseur, alors que j’aboyais avec la meute. Un peu plus fort et un peu plus hargneusement que mes parents, c’est tout. Esprit libre et sans attache. La gare de banlieue est le centre. Nous étions aspirés vers l’ailleurs, vers l’au-delà moderne. Dans le temps et dans l’espace, seul l’étranger existe. Je n’appartiens à rien ni personne, je ne suis de nulle part. C’est écrit. Nowhere Kids. Le nom de mon groupe Punk virtuel en 1985 (1).

Quelques années plus tard, l’Orient merveilleux et ses buildings immenses. Les néons criards de Tokyo provincialisent ma ville-lumière. Mon moi ne mérite pas qu’on s’y attache. Une illusion. Mon goût pour le bouddhisme, c’est de l’arrachement et du détachement au carré. Du super-moderne. A Tokyo, du verre, du béton, des métros, des avions. A Shinjuku, en haut des buildings, de me voir si haut perché, je me croyais aussi grand que le monde, pauvre con que j’étais. L’Asie, ca va vite, ça bouge. Paris, mon trou provincial à moi. Mon rire douloureux (jaune, très drôle vraiment) depuis Tokyo lorsque je recevais le courrier de mon Grand-père, agrémenté des dépêches d’un journal bien sûr illisible alors, Le Parisien (qui avait tout juste fini d’être libéré à l’époque) et qui me donnait le classement du championnat de France. J’en riais de ces dépêches alors, à l’Université avec mon pote qui faisait sa thèse sur Schopenhauer. Le seul Parisien libéré, c’était moi. En train de m’éclater à Tokyo. En train de me la jouer, avec Dôgen en langue originale dépassant ostensiblement de la poche, et auquel je n’ai jamais rien compris, je peux bien l’avouer maintenant.

Quand est-ce que j’ai fini de me la jouer ? Le snobisme qui se voulait rigolard et cool de ma jeunesse, m’en suis-je vraiment débarrassé ? Le retour aux racines, et à la religion, un super-snobisme ? Comment accéder à ce qui gît sous le béton ? Les livres, un écho de la terre et du ciel? La culture, une arme pour forer et pulvériser le béton? Vraiment ?

Le rituel, seul et sans trop de conviction, autre chose qu’une pose ?


(1) Je me rends compte grâce à mon cher ami Google qu’aujourd’hui existe un groupe « post-grunge », un mouvement sans doute pas très éloigné de ce qu’était le Punk de mon adolescence, qui est l’auteur d’un morceau intitulé Nowhere Kids, visible et écoutable (?) ici, et qui développe une vision de la famille et de la vie en banlieue étonnamment proche de celle que je devais avoir alors. Malheureusement ou heureusement, je n’ai enregistré alors aucun single qui aurait été l'hideuse et irréfutable preuve que même en matière de vacarme la vieille France peut parfois être en avance sur les Etats-Unis.
Florentin Piffard

12/12/2008

Les sources chrétiennes oubliées de la morale d’Arthur Schopenhauer et Michel Houellebecq

Autant annoncer nettement la couleur. Depuis quelque temps je méditais de me lancer dans une entreprise de récupération, au profit du christianisme, de grandes figures de la philosophie et de la littérature. S’il faut rendre à César ce qui est à César, il faut aussi, c’est écrit, rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Le but de cet article est de montrer que la source de la morale schopenhauerienne -et donc houllebecquienne- est chrétienne avant d’être bouddhiste, hindouiste, ou même schopenhauerienne. Et puisqu’il s’agit de rendre à chacun ce qui lui revient, c’est à Antoine Compagnon et à son livre passionnant, Les Antimodernes, que je dois la possibilité d’entamer cette tâche avec Arthur Schopenhauer et Michel Houellebecq aujourd’hui.

Michel Houellebecq n’a jamais caché sa passion pour Schopenhauer. Selon le romancier français, qui s’autoproclame « militant schopenhauerien », le philosophe allemand serait sa principale influence intellectuelle. Houellebecq a même reçu il y a quelques années un « prix Schopenhauer » des mains de Catherine Millet, déclarant à ce propos, sobrement et sans fausse modestie, « je crois que je le mérite ».
Dans son dernier ouvrage, coécrit avec Bernard-Henry Levy, Michel Houellebecq a recours à Schopenhauer lorsqu’il évoque ses relations douloureuses avec sa mère et plus généralement ce que vivent ceux qui ayant été abandonnés par leurs géniteurs, cherchent à les revoir. Selon le romancier, « tous » tirent de leur rencontre avec leurs parents biologiques « un grand enseignement ». Cet enseignement c’est, à suivre Houellebecq, « la face sombre du Tat tvam asi, le « Tu es ceci » dans lequel Schopenhauer voyait la pierre angulaire de toute morale (p.208) ». Cette face sombre écrit-il un peu plus loin « c’est la reconnaissance de sa propre essence dans la personne du criminel, du bourreau ; de celui par qui le mal est advenu au monde ». On pourra admirer au passage l’extrême précision des phrases employées ici. L’enfant se reconnaît comme bourreau dans son géniteur, en ce sens très précis que c’est par lui, son géniteur, que « le mal est advenu au monde », c’est-à-dire soi-même, une figure du bourreau. Pour ceux qui douteraient que Houellebecq est un penseur en plus d’être un écrivain de premier plan, conseillons-leurs de méditer ces quelques phrases afin d’en apprécier pleinement la subtile concision.

Schopenhauer maistrien

Avec l’expression Tat tvam asi, Houellebecq use d’une phrase des Upanisads qui forme le socle de la philosophie morale de Schopenhauer (Cf en particulier son Fondement de la morale). Or selon des recherches récentes de spécialistes, le Tat tvam asi des Upanisads n’est utilisé que depuis peu de temps par l’hindouisme dans le domaine de l’éthique, sous l’influence de Paul Deussen, un disciple de Schopenhauer, qui fit plusieurs conférences à ce sujet en Inde à la fin du XIXe siècle. En faisant un aller-retour en Occident cette expression s’est chargée d’une dimension morale qu’elle n’avait pas en quittant l’Inde. Il semble donc que le fait d’user de l’expression Tat tvam asi dans un contexte moral tel que le fait Schopenhauer dans son Fondement de la morale, est une innovation. Schopenhauer fait de la Compassion (la majuscule est de lui) la source de toute vertu humaine sincère et désintéressée en se fondant sur une notion indienne qui est étrangère à cette Compassion. La compassion est bien sûr un concept chrétien (le modèle de la compassion est la souffrance de la Vierge qui accompagne celle de son fils). Schopenhauer aurait-il fait un détour par l’Inde pour s’approprier un concept qui existait déjà dans sa propre tradition ? Dois-je à mon incorrigible christianophilie cette hypothèse saugrenue ? La lecture de l’ouvrage déjà mentionné, Les Antimodernes, d’Antoine Compagnon, m’apporte un début de réponse. Selon Antoine Compagnon, la morale de Schopenhauer doit beaucoup au christianisme, quelque peu hérétique selon lui, de Joseph de Maistre. Selon Compagnon (Les Antimodernes, p.104-108), Joseph de Maistre se fait une conception « hétérodoxe » du péché originel, conception selon laquelle le péché originel n’a pas été commis une fois pour toutes par nos ancêtres Adam et Eve mais est continué dans l’histoire. Pour Joseph de Maistre, la crucifixion du Christ ou la Révolution française sont des réitérations du péché originel. Or il se trouve que Schopenhauer reprend cette conception du péché originel continué, sous une forme différente, puisque ce péché prend la forme de la génération (l’acte sexuel procréatif). C’est en ce sens que le péché se transmet. On admirera au passage la précision de Michel Houellebecq à ce sujet puisqu’il situe très exactement lui aussi dans la génération le processus de reconnaissance et de transmission du mal, sans pour autant revenir à sa source chrétienne, j’y reviendrais quant à moi plus loin. Ainsi selon Renouvier cité par Compagnon, pour Schopenhauer, « le péché originel est le péché actuel ».

Antoine Compagnon nous met sur la piste d’un Schopenhauer « chrétien malgré lui ». La postérité, et Michel Houellebecq avec elle, a entériné le mythe forgé par Schopenhauer lui-même d’un Schopenhauer bouddhiste ou hindouiste. Selon Schopenhauer c’est en surmontant l’individuation, l’attachement du moi à lui-même, que l’on accède à la morale authentique consistant à reconnaître la vanité de l’identité individuelle, puisque celle-ci se confond avec autrui dans le concept plus large de Volonté. Le « Tu es ceci » est la reconnaissance de soi dans autrui, au-delà de l’individu « occidental ». Schopenhauer n’a pas hésité à attribuer à l’Occident une propension à cultiver le moi qui se serait traduit dans la culture par l’invention d’un Dieu personnel, tel le Dieu chrétien. « La croyance en Dieu a sa racine dans l’égoïsme » écrit paraît-il quelque part Schopenhauer.

Pourtant à la lecture de son chef d’œuvre, Le Monde comme Volonté et comme Représentation, se dessine parfois une image différente du christianisme selon Schopenhauer. Celui-ci trouve en effet au livre quatre de cet ouvrage que « la morale » chrétienne anticipe sa propre conception morale de l’identité de la victime et du bourreau.

« Et en effet le vulgaire ne voit pas que le tourmenteur et ses victimes sont une seule et même Volonté ; que la Volonté, par laquelle elles sont et elles vivent, est à la fois celle qui se manifeste en lui, qui même y atteint à la plus claire révélation de son essence ; qu'ainsi elle souffre, aussi bien que chez l'opprimé, chez l'oppresseur, et même, chez ce dernier, d'autant plus qu'en lui la conscience atteint un plus haut degré de clarté et de netteté, et le vouloir un plus haut degré de vigueur. — Au contraire, l'esprit délivré du principe d'individuation, parvenu à cette notion plus profonde des choses, qui est le principe de toute vertu et de toute noblesse d'âme, cesse de proclamer la nécessité du châtiment : et la preuve en est déjà dans la morale chrétienne, qui interdit absolument de rendre le mal pour le mal, et qui assigne à la justice éternelle un domaine distinct de celui des phénomènes, le monde de la chose en soi. « La vengeance est mienne, c'est moi qui veux punir, dit le Seigneur. » [saint Paul épitres aux Romains, XII, 19]. »

Schopenhauer contre Dostoïevski, tout contre

Dans un rapport de rivalité avec sa mère qui se réclame bruyamment d'une perspective dostoïevskienne, et donc chrétienne – de façon sans doute perverse « on doit tous se pardonner, dit-elle selon Houllebecq », mais demande-t-elle vraiment, sincèrement pardon à son fils ?-, Houellebecq situe sa propre morale schopenhauerienne dans une perspective complètement différente. « [R]ien à voir avec le pardon chrétien », écrit-il ici (p.208). Le pardon chrétien serait à mille lieux de la reconnaissance d’autrui en moi schopenhauerienne. On sait pourtant déjà que l’opposition entre christianisme et hindouisme est peut-être plus fabriquée par Schopenhauer que réelle. D’ailleurs serait-on tenté d’ajouter malicieusement, Schopenhauer en effaçant ou en occultant grâce à ce détour indien la source chrétienne de sa morale, ne cède-t-il pas lui-même aux sirènes de l’individuation que la haute morale qu’il défend cherche à surmonter ? En rompant le lien avec la génération (chrétienne) qui le précède, il s’affranchit des contraintes posées par sa propre morale consistant à se retrouver dans l’autre, et singulièrement en celui qui nous précède, notre géniteur. En faisant du christianisme un rival, Schopenhauer se trouve contraint de le nier dans sa propre pensée en allant chercher dans les lointaines sagesses orientales un concept dont le nom est exotique mais la substance familière. De même, en cherchant à s’opposer à sa mère, Houellebecq rate-t-il la parenté, c’est le cas de la dire, de sa pensée avec celle de Dostoïevski.

La pensée chrétienne dans ce qu’elle a de plus stimulant aujourd’hui reconnaît dans le désir mimétique la source de l’humanisation de l’homme. René Girard a dans son ouvrage Mensonge romantique et vérité romanesque identifié dans la conversion chrétienne le modèle des conversions authentiques que connaissent parfois les hommes, et singulièrement les romanciers, lorsqu’ils renoncent aux illusions d’un moi autonome désirant spontanément. La destruction de ce moi menteur et la découverte de la nature mimétique de ce qui constitue l’humanité, c’est-à-dire le désir, ne font qu’un. En se découvrant impur et perméable à la méchanceté du bouc émissaire (que le nouveau moi identifie au rival fascinant à qui il empruntait naguère ses désirs) le moi découvre sa propre nature persécutrice et accède à une authentique catharsis, non sacrificielle, ou sacrificielle en un nouveau sens. C’est donc en un sens très profond que la morale schopenhauerienne et la morale chrétienne sont apparentées, même si Schopenhauer a cherché à greffer sa pensée sur une tradition étrangère à la sienne. Il a cherché à se faire adopter par l’Orient en reniant sa propre filiation, mais Houellebecq nous le montre dans son ouvrage, c’est par une reconnaissance de son identité dans autrui que l’on accède à la morale la plus haute. Et où cette identité est-elle plus problématique que dans la sphère familiale surtout lorsque, comme dans le monde moderne, les différences entre les générations s’affaissent au point parfois de faire des parents des rivaux de leurs enfants, de la même manière que le philosophe moderne transforme la culture et la religion dans lesquelles il a été éduqué en mythe (Schopenhauer parle de mythe chrétien, notamment à propos du péché originel) afin de pouvoir substituer sa propre conception du monde, sa propre mythologie serait-on tenté de dire, à celle dont il est tributaire ? Mais René Girard nous l’apprend, et à travers lui les Evangiles, c’est à nos rivaux que nous empruntons le plus, et il n’est donc pas étonnant de retrouver sous le vernis oriental de Schopenhauer et Houellebecq le bois chrétien. Mais ce christianisme est bien sûr altéré par le fait d’avoir été si longtemps caché, puisqu’il s’agit justement ici de se reconnaître dans ce qui nous précède. Comment ne pas renvoyer Schopenhauer et Houellebecq à leurs propres conclusions ?

Pardonner ou demander pardon ?

Il est possible maintenant de revenir à la question du pardon dans le texte de Houellebecq. Est-il toujours possible de soutenir que le Tat tvam asi schopenhauerien et le pardon chrétien n’ont « rien à voir » l’un avec l’autre ?
Il est sans doute plus aisé dans les circonstances habituelles de l’existence (et non pas, par exemple, dans la perspective judiciaire d’alléger à la fois sa faute et la sentence) de demander pardon que de l’accorder. Celui qui demande pardon est celui qui dans un rapport de rivalité mimétique (pensons aux querelles de couple au cours desquels bien souvent chacun se pense la victime de l’autre) admet le premier de se reconnaître coupable, plus coupable que l’autre, puisqu’il admet que c’est sa faute à lui qui doit être effacée d’abord et non le préjudice qu’il aurait subit. Le geste véritablement, pleinement chrétien, n’est pas d’accorder son pardon (surtout à quelqu’un qui ne le demande pas), mais de le demander à celui que l’on admet avoir lésé.
A suivre René Girard ici encore, l’originalité de la révélation chrétienne consiste en ce qu’elle donne la possibilité à l’humanité de se reconnaître à travers la crucifixion du Christ coupable de persécutions collectives, ou même individuelles.

Se reconnaître bourreau et non seulement victime, et donc coupable, vraiment coupable, n’est donc au fond rien d’autre que de demander pardon.

01/12/2008

La Vie moderne



La vie moderne ou la destruction du monde

Pourquoi La Vie moderne ? Pourquoi intituler La Vie moderne ces entretiens austères avec de vieux paysans dont le mode de vie et la façon de travailler sont en train de disparaître en même temps qu’eux-mêmes ? Comment ces hommes perdus au fin fond d’une campagne désertée et bouffée par la mauvaise herbe pourraient-ils vivre « une vie moderne » ? Comment serait-elle moderne cette vie rythmée par les saisons, les caprices de la nature, les contraintes de la vie animale ? La modernité, c’est nous et notre vacuité affairée, ce sont les machines et les médias, les symboles et les écrans. C’est cette humanité abstraite, tout entière tournée vers elle-même, à la fois terrorisée et saoulée par sa propre puissance, obsédée par son « actualité » aussi vaine que bruyante, par la politique et la cité, à mille lieux de ces clôtures et de ces chemins enneigés, de ces animaux malades qu’il faut soigner, de cette terre aride qu’il faut cultiver, de ce vent mauvais qui décoiffe les paysans. Modernes, ces vieillards solitaires ? Moderne cette vieille qui trait les vaches au lieu de s’abrutir comme tout le monde dans le métro au son de son iPod ?

Ce titre, comment le comprendre ? S’agit-il d’ironie ou peut-être d’une provocation de l’auteur, comme on peut le lire ici ou là ? Quel sens cela aurait-il ? De ringardiser plus encore ces paysans tellement oubliés qu’on oublie même de les ridiculiser à la télé depuis la retraite des Deschiens, sans doute parce que, pour qu’une caricature ait un sens, il faut encore que son modèle nous soit familier ? Non, bien sûr. Il faut prendre ce titre au sérieux. Ce dont nous parle Depardon dans ce documentaire, c’est avant tout de la vie moderne, et donc, en creux, de nous-mêmes. Je ne prétends pas qu’eux et nous c’est exactement la même chose. Pas encore. Ce serait céder hâtivement à ce cliché moderne selon lequel l’étranger c’est toujours un peu nous. Qu’il y a un peu de nous chez l’autre. Comment confondre en effet l’humanité citadine d’après la catastrophe, celle dont l’activité favorite semble être de scruter solitairement le web pour y découvrir une occasion de faire le malin, sans rien devoir à personne, et l’humanité paysanne qui travaille en commun depuis des millénaires pour se nourrir et nourrir le reste de l’humanité ?

Comment confondre leur humanité et la nôtre ? Mais pourtant, cette confusion, n’est-ce pas justement ce que produit la modernité débridée de notre époque lorsqu’elle vise à aligner les provinces les plus lointaines, les plus spirituellement éloignées d’elle, grâce aux mots d’ordre qu’elle diffuse d’autant plus impérieusement qu’ils s’imposent avec notre consentement le plus total ? Comment ne céderions nous pas aux sirènes du nomadisme et de la liberté ? Qu’elle était belle cette ville rêvée, celle de l’arrachement aux traditions millénaires et à l’impitoyable loi de la communauté, celle de l’anonymat libérateur ? Et n’est-elle pas valorisante pour notre ego, la sacro-sainte loi de l’autonomie moderne ? Je fais ce que je veux avec mes vieux. Surtout rien d’ailleurs.
Mais avec le triomphe idéologique de l’autonomie, n’est-ce pas la possibilité même d’un lien intergénérationnel qui disparaît ? Seul face aux écrans nous affirmons notre toute-puissance à la face d’un monde toujours trop vieux pour nous, et sans cesse soupçonné, parfois à juste titre, de vouloir nous asservir. A l’ère de l’autonomie tyrannique de l’individu et des droits sacralisés, il devient impossible à quiconque de se soumettre à la loi de la tradition sans protester.

La question qui obsède Depardon dans ce documentaire est celle de la transmission et de la vie commune. Du conflit de générations, comme il dit. Pourquoi des groupes humains qui transmettent la loi d’un vivre-ensemble depuis la plus haute antiquité se défont aujourd’hui ? Nous accusons souvent les écrans d’anéantir la vie familiale. Mais c’est prendre la conséquence pour la cause et faire naïvement de la technique un bouc émissaire. C’est au contraire, je crois, pour anéantir une vie familiale devenue insupportable que les écrans triomphent aujourd’hui. Seul face à l’écran, je ne crains personne et je triomphe d’une obsolète réalité à l’agonie. La table familiale chère à Hanna Arendt et Günther Anders est vide, voilà ce que montre le film. Les enfants l’ont désertée pour se précipiter derrières leurs écrans, ceux qui restent face aux vieux, tel Daniel, jeune homme d’une cinquantaine d’années, ne cessent de répéter qu’il préfèreraient être ailleurs. Daniel aime à travailler n’importe où plutôt que de rester à la ferme familiale, avec ses père et mère. Avec ses traits burinés et sa prose balbutiante Daniel est une figure tragique, la figure de celui qui n’a pu échapper à son destin. Et quoi de plus étranger au destin que la modernité qui permet à chacun d’être le créateur de sa propre existence ?

Le conflit des générations, il n’y a « que ça » qui empêche que cela marche comme le dit une jeune femme citée dans la bande-annonce du film. Mais ce « que ça », c’est tout. Tout ce qui nous empêche de faire un monde. Ce qui empêche la transmission et l’héritage. Comment ne pas penser à propos de ce film à un film pourtant bien différent, L’Heure d’été d’Olivier Assayas. L’Heure d’été met en scène une famille sur le point de se défaire au moment où la gardienne de l’héritage meurt. Plus rien ne se transmet, tout disparaît ou se conserve au musée, ce qui n’est guère différent. Dans L’Heure d’été le patrimoine est parvenu in extremis jusqu’à aujourd’hui grâce à l’attrait sensuel d’une jeune fille pour son oncle, cet attrait sensuel figurant déjà le confusionnisme contemporain par lequel se dissolvent les relations ritualisées d’antan.

Raymond Depardon a quitté la ferme parentale à seize ans, parce qu’il avait soif d’ailleurs, peut-être parce qu’il avait honte d’être le fils de son père, un pauvre paysan inculte. La honte de sa propre honte, voilà peut-être le sentiment étrange et ô combien nécessaire auquel nous devons cette œuvre magnifique. Ce film, dont le dernier mot est « apaisé », marque les retrouvailles symboliques de son auteur avec ses propres racines et sa propre tradition. Car ces retrouvailles ne peuvent se faire, modernité oblige, que sous la forme contemporaine d’un objet technique. C’est cela la vie moderne, et c’est cela aussi La Vie moderne. Depardon, ce drôle de fils prodigue, ne revient chez lui qu’en position de spectateur -un spectateur attentif et bienveillant certes, mais spectateur tout de même- d’un monde qui lui est devenu étranger. Le fils de paysan est devenu lui-même, pour notre plus grand bonheur, un manipulateur de symbole, un artisan presque solitaire, à mille lieux d’une vie collective ritualisée dont il ne transmet plus que des traces en même temps que la lente agonie.

25/11/2008

Bientôt l’Oumma des Nations Unies ?


Serait-il temps de débaptiser l’Organisation des Nations Unis, et de lui donner un nom plus approprié, l’Oumma des Nations Unies par exemple ?
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Il est parfois des entorses troublantes au culte de l’égalité de toutes les cultures et religions devant le grand tribunal de la Sainte Inquisition des droits de l’homme et du citoyen. Le 24 novembre, à l’initiative de ces modèles de démocratie que sont les états membres de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), le Belarus et le Venezuela, une résolution visant à empêcher le dénigrement des religions a été adoptée par 85 voix contre 50, avec 42 abstentions, par la commission des droits de l’Homme de l’Assemblée générale de l’ONU . A la simple lecture de l’énoncé de cette résolution on pourrait croire qu’il ne s’agit de rien de plus que d’une de ces déclarations bien-pensantes qui ne mangent pas de pain, même béni, que notre époque lénifiante affectionne tant. Mais l’impression qui se dégage de la lecture du texte de cette résolution est bien différente. Le sourire narquois se fige et laisse place à une sourde inquiétude. Car cette résolution adoptée en commission et qui devrait, sauf improbable sursaut de la vénérable institution onusienne, être votée sans difficulté en session plénière entre le 18 et le 22 décembre prochain, sous prétexte de stigmatiser l’intolérance religieuse, ne s’intéresse qu’à l’islam. C’est en effet le seul islam qui est cité dans ce texte comme étant la cible de l’intolérance et des persécutions antireligieuses, comme si la condition des chrétiens (sans même parler des Juifs) dans des pays tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Algérie, l’Egypte, le Pakistan, la Somalie et j’en passe, était idyllique. Comme si ce n’était pas dans ces pays là que l’intolérance et surtout la persécution antireligieuse faisait rage. Sous prétexte de défendre les minorités musulmanes opprimées dans les pays occidentaux ce texte, qui sera adopté, je le rappelle, au nom de l’Organisation des Nations Unies tout entière (comme un texte similaire l’a déjà été l’année dernière) occulte les persécutions bien réelles, et non purement rhétoriques, dont sont victimes les chrétiens dans les pays cités.
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Que cette résolution ait pu être adoptée grâce au soutien de la Chine et de la Russie ne fait qu’ajouter au malaise. Car c’est semble-t-il le seul Occident qui se trouve être aujourd’hui sur le banc des accusés au nom des crimes commis dans le passé et de la domination économique et culturelle qu’il continuerait d’exercer. Au sein de la commission des droits de l’Homme de l’ONU se structure aujourd’hui le front antioccidental de demain : tous contre l’Occident, qui serait coupable, selon la quasi-totalité des pays non occidentaux d’un regain de racisme depuis le 11 septembre 2001. Ainsi, le terrorisme islamiste qui s’attaque à l’Occident et l’ONU elle-même à travers cette commission sont au fond d’accord sur un point : c’est l’Occident qui est coupable, forcément coupable.

Il ne s’agit pas de dire que les pays musulmans et ceux qui soutiennent leurs initiatives sont complices des terroristes, mais simplement de remarquer que les uns et les autres participent d’un processus commun qui consiste au fond à faire des pays Occidentaux les boucs émissaires de tous les problèmes auxquels la planète est confrontée. L’époque pendant laquelle les pays Occidentaux faisaient la pluie et le beau temps au sein de l’institution onusienne est déjà loin. Aujourd’hui bien souvent l’agenda de l’ONU est fixé par une coalition baroque sino-russo-musulmane que rien ne cimente sinon sa haine de l’Occident. Lisez donc si vous avez le cœur bien accroché le dernier pamphlet de Jean Ziegler, un chantre onusien de la religion antioccidentale qui naît- ouvrage justement intitulé La Haine de l’Occident. Penchez-vous donc sur les documents préparatoires à la prochaine conférence de Durban, dite Durban II, librement accessibles ici. Vous y constaterez que cette haine progresse partout, et qu’elle est probablement notre destin, Obama ou pas Obama. La défense de l’islam, sous la forme de la dénonciation d’un racisme anti-arabe sinon phantasmatique, il existe je ne le nie pas, au moins velléitaire (combien d’attaques racistes contre les arabes en France depuis les premiers cas de terrorisme islamistes sur notre sol ?) constitue le fer de lance d’un mouvement global de mise en accusation de l’Occident. Jamais un dirigeant occidental avisé ne pourra dire ouvertement ce que j’écris ici. Ce serait alimenter un choc des civilisations qui n’a pas besoin de cela pour exister. Est-ce faux pour autant ? J’aimerais le croire avec vous.

Il est un autre aspect de cette résolution qui ne laisse pas de troubler, peut-être plus encore que « l’oubli » des persécutions antichrétiennes en terre musulmanes. Il s’agit de l’identification de la critique d’une religion à une forme de racisme. Tout au long du texte de cette résolution la critique de la religion musulmane est assimilée à une forme de xénophobie et de discrimination à l’encontre des peuples musulmans. Comme si la critique de l’islam relevait nécessairement d’une pulsion raciste et ne pouvait s’exercer au nom de la raison et de la liberté. Comme si la religion musulmane était indéfectiblement attachée à l’identité d’une personne au même titre que sa nationalité, sa race ou son sexe. Certains s’étonneront peut-être qu’un type qui se prétend catholique prétende aussi s’indigner des projets de l’ONU visant à interdire le dénigrement des religions. Il se trouve cependant que je n’ai rien, mais alors rien du tout contre le droit de tout un chacun de critiquer, caricaturer, vilipender quelque religion que ce soit. Au contraire, les caricatures de la religion catholique que l’on voit s’étaler un peu partout dans les médias sont en général si stupides qu’elles constituent souvent une apologie involontaire de cette institution à la fois si solide et si fragile qu’est l’Eglise. Celle-ci n’a rien à craindre de l’esprit critique, car si un peu d’esprit critique éloigne de l’Eglise, beaucoup d’esprit, critique ou pas, y ramène. Le christianisme et singulièrement le catholicisme se situe à mille lieux de la conception identitaire de la religion ici défendue par les pays de l’OCI. Personne ne naît chrétien. L’entrée dans l’Eglise implique, au moins théoriquement, une démarche volontaire et une conversion de toute la personne. Ce n’est semble-t-il pas le cas dans l’islam. Pour les musulmans il suffit de naître dans un contexte culturel musulman pour l’être. Ces différences expliquent sans doute pour une part que l’on puisse si facilement équivaloir race et religion dans les pays musulmans et que cela paraisse (peut-être) simultanément scandaleux aux citoyens de pays de culture chrétienne.

En outre, en identifiant racisme et critique de la religion on oublie au passage qu’il existe dans les pays musulmans (notamment arabes) une minorité chrétienne très ancienne, plus ancienne bien sûr que la religion musulmane elle-même et qui devrait avoir à ce titre notamment, toute la légitimité nécessaire pour pratiquer sa religion en paix. Or tel n’est pas le cas. Les persécutions antichrétiennes se multiplient aujourd’hui dans les pays musulmans.

Pendant ce temps, les bien-pensants de chez nous, soucieux de se désolidariser symboliquement d’un Occident auquel ils appartiennent pourtant à la fois culturellement et économiquement et de se protéger ainsi du courroux qui monte chez les ex-damnés de la Terre, joignent leurs voix au chorus antioccidental pour dénoncer un phantasmatique racisme congénital du petit peuple des beaufs d’Occident. Honte à eux.
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Pour un droit opposable à Photoshop pour tous!


Alors que les puissants usent et abusent du droit de faire semblant d’être beau, les enfants des écoles maternelles quant à eux subissent l’humiliation de photos sans retouches. Une pratique discriminatrice honteuse, exercée sur une grande échelle, même si ça n’est pas forcément pratique, et dans l’indifférence générale. Une mobilisation citoyenne s’impose. Saisissons la HALDE au plus vite !
(je ne suis pas sur la photo)
Malgré les grèves et sa varicelle mon petit dernier a enfin eu le droit aux honneurs de la photo de classe. Cela aurait dû être un grand jour pour lui, qui fut malheureusement gâché par des pratiques d’un autre âge : la photo numérique sans retouches. Résultat, des boutons de varicelle plein le portrait ! Une horreur et un scandale inouïs, dans l’indifférence générale du reste de l’humanité. Il est temps de réagir.

On n’y pense pas assez mais ces photos sont souvent les seules traces qui restent de nos premiers pas en compagnie de nos frères humains. A peine sortie du giron mapaternel (1), les petits sont lancés dans le grand bain de la vie en société, sans qu’il n’en reste, hors ces fameuses photos, aucunes traces matérielles. Des années plus tard, grâce à ces photos nos chères têtes blondes se souviendront avec émotion de leurs premiers pas dans le monde loin des jupons de maman (ou des pantacourts de Papa, je vous vois venir gros comme un congé maparental). Pourtant, alors que les grands bénéficient de toutes les ressources de la technique pour modeler leur image à leur goût, nos enfants doivent se contenter d’un triste reflet de leur « moi réel ». Imagine-t-on seulement le traumatisme qui sera le leur lorsqu’ils constateront que sur ces photos un épi rebelle pour l’un, des traces d’une récente varicelle pour l’autre (et parfois même les deux, pauvre fiston !), attireront l’œil sarcastique de ceux qui auront la mauvaise idée de se pencher sur ces photos ? Pense-t-on seulement au traumatisme qui sera celui de nos chers bambins lorsqu’ils devront admettre que l’image avantageuse qu’ils avaient d’eux-mêmes n’était qu’un phantasme sans lien avec la prosaïque réalité ? A leur humiliation insurmontable ? Et que dire de la consternation des parents qui verront en un instant s’effondrer le travail de longues années visant à inculquer la fierté d’être soi à sa progéniture ? Pendant que les grands de ce monde se refont le portrait virtuel grâce aux techniques toujours plus sophistiquées de retouches photographiques, les plus jeunes d’entre nous devraient se contenter de photos « vraies », sans retouches, ni prises multiples. Un scandale inouï qui ne réjouira que ceux qui prennent un malin plaisir à l’humiliation de notre chère jeunesse, et les psychanalystes réactionnaires qui font leurs choux gras et leur beurre de la peau non moins grasse et à boutons qui fleurissent à un âge encore naguère honteusement qualifié d’ingrat.
J’entends déjà les plaintes légitimes des foules juvéniles spoliées du droit d’être belles, leurs visages humiliés plongés dans les coussins des divans desdits analystes, et relatant d’une voix entrecoupée de sanglots déchirants l’horreur qui fut la leur lorsqu’elles constatèrent que leur estime de soi fut définitivement abîmée par ces photographies immondes. A l’heure du corps et de l’identité choisis grâce aux vertus conjuguées de la chirurgie esthétique et de la retouche photographique, au moment ou le moindre internaute bénéficie de la possibilité de se choisir un avatar avantageux pour fanfaronner sur Internet sans qu’un lien quelconque ne puisse être effectué vers un physique souvent difficile, faudrait-il que nos bambins soient les seuls à devoir assumer les humiliations que leur inflige la nature ? Trop longtemps la discrimination naturelle imposée par mère nature a été supportée sans broncher par une société honteusement complaisante à l’égard des vils desseins cachés d’une intelligence occulte visant à humilier l’individu. Cet individu moderne, heureusement libre de se choisir une identité et un destin sans qu’aucune détermination naturelle ne vienne l’entraver doit être libre aussi de se choisir l’apparence qui lui convient le mieux ! Et ce dés son âge le plus tendre ! C’est un droit que l’on doit pouvoir opposer à l’éducation nationale du vilain -dans tous les sens du terme- Darcos !

Que répondrons nous dans vingt ou trente ans à notre progéniture lorsqu’elle nous demandera quelle fut notre attitude alors même que des photos scandaleusement humiliantes étaient prises d’elle systématiquement et dans l’indifférence quasi-générale des plus de vingt ans?

Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.


(1) mapaternel appliqué à des mots tels que giron ou congé (voir plus bas) est un vocable retouché lors d’un bidouillage lexical technico-moralisateur moderne garanti 100% sans discrimination par le grand sachem de la haute HALDE de la discrimination Louis Schweitzer.
(je ne suis pas sur la photo)

13/11/2008

Il bafouille, donc je suis



Lorsque Sarkozy bafouille, le noir sort de l’ombre.

Marguerite (1) me faisait remarquer en riant, le 6 novembre dernier, que les journaux qui prétendent faire l’opinion en France, Le Monde (pour ceux d’en haut) et Le Parisien (pour ceux d’en bas), ont eu, sans se concerter sans doute, la même étrange idée pour fêter l’arrivée d’Obama à la tête du monde (le vrai, pas le journal), donner un coup d’accélérateur à la carrière politique d’une obscure adjointe au maire de Paris, une jeune socialiste inconnue, Seybah Dagoma, afin que la France arrête d’être en retard sur ceux qui ont de l’avance pour ce qui concerne la visibilité des minorités visibles. C’est ainsi qu’au lendemain de la victoire d’Obama cette jeune femme de trente ans , sans doute bourrées de qualités je ne sais, s’est vue offrir une pleine page du Monde et une interview dans le journal Le Parisien, alors qu’elle est âgée d’à peine trente ans et qu’elle n’a rien réalisé de notable dans sa courte existence (à ma connaissance), puisqu’elle a même été battue par Jean-François Legaret alors qu’elle briguait la mairie du 1er arrondissement lors des dernières municipales. Elle dut donc se contenter d’un siège au Conseil de Paris avant que Bertrand Delanoë, en avance sur ceux qui ont de l’avance (mais en retard sur Sarkozy), ne pense à elle pour un poste d’adjointe à la Ramayadaterie parisienne. Pour ceux qui en douteraient, il n’y a rien de bien remarquable que d’être conseiller de Paris à 30 ans, Legaret lui-même l’était à cet âge là et n’a pas eu depuis la carrière mirobolante que le monde médiatique promet à Seybah Dagoma.

Perçoit-on comme moi, dans cette visibilité médiatique offerte à la jeune adjointe de Delanoë, la volonté de faire l’actualité plutôt que d’en rendre compte ou de la comprendre, comme c’est, jusqu’à plus ample informé, la vocation naturelle des journalistes ? Il me semble qu’en ouvrant ses colonnes à une inconnue on espère lui servir de tremplin pour lancer sa carrière politique. Une telle volonté correspond-elle à l’éthique journalistique telle que la conçoive ces journaux ? Je ne sais, mais on peut noter qu’en agissant ainsi, ils se conforment à un impératif récemment formulé par la haute HALDE de la discrimination qui consiste à demander aux livres d’histoire, non pas de refléter la réalité telle qu’elle est, mais de la refléter telle qu’elle devrait être, ou même, puisqu’il s’agit d’histoire, telle qu’elle aurait dû être. Va-t-on apprendre dorénavant à nos chères têtes blondes que celles de leurs parents étaient noires et que celle de Blaise Pascal était tournée vers Allah le miséricordieux ? Je ne sais pas non plus, mais sans revenir sur la nomination d’un vrai/faux premier préfet noir, on peut tout de même noter a minima qu’aujourd’hui en France le noir est une couleur à la mode. Personnellement, ça n’a rien pour me déplaire, depuis ma courte période Punk, il y a 25 ans environ, j’adore le noir. A l’époque c’était parce que ça faisait viril et méchant, aujourd’hui c’est plutôt parce que ça amincit, parait-il.

La preuve que le noir est à la mode, c’est que Télérama s’y est mis. Depuis qu’il n’est plus catholique, l’hebdomadaire culturel ne serait pour rien au monde en retard d’un effet de mode. On a donc eu droit dans son dernier numéro à des tartines dithyrambiques de noir sur fond blanc à propos des toiles de Soulages et surtout à un intéressant portrait d’Audrey Pulvar, une journaliste antillaise de la 3. Moi, Audrey Pulvar, je n’ai franchement rien contre elle, croyez-moi. Elle ressemble plutôt à la bru idéale, un peu dans le style beauté froide de Claire Chazal qui plaisait tant naguère aux Français moyens dont je me vante de faire partie. Fin sourire et expressivité minimum, très bon chic bon genre. Mais elle a l’avantage sur Claire Chazal de correspondre aux canons de l’époque : sa peau noire claire, si une telle chose existe, et sa chevelure noire noire, sont aujourd’hui beaucoup plus dans le coup que le teint blafard et les cheveux blonds de Mme Chazal. Bref, a priori elle a tout pour me plaire, cette Audrey Pulvar, moi qui ne redoute rien tant que d’exposer à la face du monde ma ringardise congénitale de petit blanc. Une présentatrice antillaise, je suis pour comme tout le monde, je trouve ça trop sympa, ça fait trop longtemps qu’on est des ploucs en France avec tous ces blancs à la télé qui sentent encore jusque dans le poste la bouse accrochée aux sabots de leurs grands-parents. C’est donc d’un œil bienveillant et à peine malicieux que je me plongeais dans mon hebdomadaire favori (si j’excepte la gazette municipale qui m’apprend tout sur « l’actu » de mes voisins, à peu près tous artistes -si j’excepte encore un cheminot retraité et égaré parmi les bobos bien qu’il habite là depuis 40 ans- voisins auxquels ma timidité naturelle m’empêche d’aller rendre visite lors des journées « ateliers ouverts à tous vents » organisés par la municipalité), un peu surpris quand même que cet hebdomadaire qui fait la pluie et le beau temps dans les milieux culturels de notre pays ait choisi de consacrer plusieurs pages à une journaliste encore assez peu connue malgré tout. De quel talent caché disposait donc la dame pour mériter un tel honneur ? Il m’a fallu m’y prendre à deux fois pour croire la réponse donnée par le magazine. Le talent de cette Audrey, c’est de faire bafouiller ses interlocuteurs. Aujourd’hui en France on considère qu’une journaliste mérite d’être distinguée de et par ses pairs parce qu’elle fait bafouiller ceux à qui elle s’adresse. Me comprend-on ? A quand le prix Albert Londres pour le journaliste qui saura obtenir des gens qu’il rencontre les réponses les moins compréhensibles ? Un prix qu’il faudra rebaptiser prix du galimatias et du salmigondis ?

En lisant cet étrange article j’ai compris que la volonté de faire l’actualité plutôt que de la refléter d’une part et cette apologie du galimatias politique de l’autre ressortissaient du même phénomène. Aujourd’hui les hommes politiques ne sont plus porteurs d’une parole, mais ne sont que le simple reflet médiatique de leur propre image, ce qui n’est vraiment pas grand-chose. Un reflet en noir et blanc. Sans vision, sans profondeur historique, sans projet, sans rien. De simples icônes. Noire pour Le Pen, blanche pour Seybah Dagoma, par exemples. Le monde médiatique a besoin des deux, mais seulement des deux. Les hommes politiques ne sont que les produits d’un système médiatique qui prétend s’octroyer un double privilège, malgré la démocratie, celui du choix des membres éminents de la classe politique, et celui de l’intelligibilité du discours. Il faut comprendre que l’autonomie de pensée des hommes politiques, si elle existe, se doit d’être brouillée, puisque le fait de faire bafouiller un homme politique est considéré comme une grande victoire. Au mieux ces hommes politiques ne sont, tels Seybah Dagoma, que les poulains de ces écuries politiques sans politique que sont devenus l’air de rien les grands médias, au pire ils sont mis au banc des accusés. Accusés qui se doivent de bredouiller leurs réponses aux questions comminatoires des journalistes afin de jouer le rôle des méchants dans la grande farce universelle et orchestrée par les forces coalisées du Bien que sont devenus les médias.

« Quand je pose une question j’attends une réponse. C’est le minimum. » Nous voilà avertit sèchement par Mme Pulvar. Tenons nous-le pour dit, et sachons ainsi reconnaître qui sont les véritables procureurs et inquisiteurs de notre temps.
(1) Marguerite, c’est l’élue de mon coeur, elle est de gauche, tendance verte et athée, et elle m’aime quand même, ça vous étonne, mais c’est comme ça !

Crédit photo : Léa Crespi pour Télérama (ça fait classe non, on dirait un vrai journaliste).

07/11/2008

Lapidation publique d’une jeune fille de 13 ans, yes they can

Une jeune fille de 13 ans a été lapidée en public dans un stade de Kismayo en Somalie le 27 octobre 2008 après avoir été condamnée à mort par les autorités auprès desquelles elle était venue demander justice à la suite d'un viol collectif dont elle était la victime. Le silence du chœur des bien-pensants occidentaux qui s’est ensuivi est assourdissant. Et glaçant.
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Alors que le monde euphorique vit un rêve éveillé et se réjouit de la prochaine disparition du mal sur terre grâce à l’avènement de Barack Obama, l’actualité nous rappelle brutalement à la réalité sous la forme d’un communiqué de presse de l’Unicef. Une jeune fille de 13 ans a été lapidée devant une foule de badauds le 27 octobre à Kismayo en Somalie. Kismayo est située dans une région de la Somalie contrôlée depuis le 22 août par des insurgés islamistes fidèles au leader Hassan Turki. Depuis, la Charia y est appliquée. Concrètement cela signifie donc qu’une jeune fille de 13 ans violée par trois hommes alors qu’elle est en route pour rendre visite à sa grand-mère peut être convaincue d’adultère et lapidée en place publique par une cinquantaine d’hommes, après avoir été enterrée vivante jusqu’au cou.
A en croire le Corriere della Sera, "les pierres utilisées pour lapider Aïcha Ibrahim Dhuhulow n’étaient ni trop grosses pour provoquer une mort instantanée, ni trop petites pour être inoffensives", ce qui réjouira d’aise tous ceux qui aiment que les choses se passent dans les règles.
Selon Amnesty International, la jeune fille a été déterrée une première fois par des "infirmières" qui ont déclaré quelle était alors encore vivante, puis "replacée dans le trou où elle avait été partiellement ensevelie afin que la lapidation se poursuive."
Des proches de la victime présents sur place, notamment des femmes, ont semble-t-il manifesté leur colère et tenté d’apporter leur aide à la condamnée. Un enfant a été tué par des coups de feu tirés par les représentants des "forces de l’ordre" locales dans les désordres occasionnés par cette intervention.
La discrétion des médias français en réaction à cette horrible nouvelle est glaçante. Un mot dans Le Point et dans Le JDD en ligne, une brève sur l’excellent site Causeur.fr, un article sur le blog Femmes d’ailleurs hébergé par Courrier International, guère plus.
Les autorités politiques elles-mêmes ont été bien discrètes. La "Présidence du Conseil de l’Union européenne", c’est-à-dire la France, s’est contentée d’une déclaration lapidaire (sans mauvais jeux de mots), le 28 octobre. "La Présidence du Conseil de l’Union européenne condamne la mise à mort par lapidation, à Kismayo dans le sud de la Somalie, de Mme Aisha Ibrahim Dhuhulow. La condamnée avait été préalablement enterrée vivante jusqu’au cou."
Quant au silence des musulmans, modérés ou non, en réaction à cette horreur, je me garderai bien de le qualifier.

Reopen 1104



Un article en avance sur son époque, refusé par Agoravox car considéré comme "inutilement polémique". Il y a des choses avec lesquelles il est difficile de rigoler de nos jours, la théorie du complot en est une.





Ce n’est pas clair tout ça. L’élection de Barak Obama est marquée par trop de zones d’ombres, demandons l’ouverture d’une enquête internationale sur les conditions de son élection, sous le contrôle de la commission des droits de l’homme de l’ONU.
C'est pour rire! C'est pour rire! C'est pour rire!
Il y a deux ans Obama était un presque inconnu, il y a un an c’était un outsider complet, aujourd’hui il est triomphalement élu à la tête de la nation la plus puissante de la planète. A quel benêt fera-t-on croire que l’émergence météoritique (trop fort comme métaphore, non ?) de cet homme politique n’a pas été télécommandée par les puissances occultes états-uniennes, qui, par pur goût du lucre, mènent depuis des décennies le monde dans un mur, même pas d’argent d’ailleurs, ce qui est un triste comble ? Ce benêt ce n’est certainement pas moi, qui connais tout mon Chomsky par cœur. Existe-t-il d’ailleurs vraiment le crétin qui pense que l’oligarchie financière et industrielle la plus puissante de la planète a pu laisser un obscur fils d’immigrant s’emparer de la maison blanche sans le tenir d’une façon ou d’une autre à sa merci dans ses doigts crochus ? Et dans quel Etat errerait donc le complet imbécile qui serait imbécile au point de penser qu’Obama fut le candidat du peuple américain et qui méconnaîtrait ainsi les terribles mécanismes politico-économiques cachés qui régissent furtivement Washington, tout comme la puissance fantastique des réseaux occultes qui le contrôlent, tapis dans l’ombre ? Impossible de le savoir, mais ce qui est sûr c’est que cet extraterrestre, s’il existe vraiment (depuis Roswell au moins, la NSA, comme la NASA, la CIA et autres USAF nous cachant tout et nous disant rien, il est impossible d’exclure cette drôle d’hypothèse) n’a pas lu Thierry Meyssan et n’a pas entendu Jean-Marie Bigard ! C’est dire à quel point il n’a pas eu le temps de se familiariser avec la grande culture de notre monde, ce pauvre bichon tombé d’ailleurs !

Développons quand même au cas improbable où cet oiseau rare nous lirait. Les moyens financiers dont a disposé Obama ne sont pas tombés du ciel non plus, tels deux avions devenus fous dans le ciel new-yorkais (pas plus qu’Obama lui-même n’est tombé du ciel pour nous sauver du mal- en dépit des métaphores approximatives de mon premier paragraphe- et en dépit aussi du fait avéré qu’il a traîtreusement essayé de nous le faire croire, approuvé par les rires bruyants de son prétendu « adversaire » McCain). L’histoire américaine ne connaît aucun exemple d’une telle quantité de dons privés octroyés à un homme politique dans le cadre d’une campagne électorale. Peut-on vraiment penser que ces dons émanent d’individus lambda, c’est-à-dire comme vous et moi, simplement soucieux d’améliorer l’image de leur pays et avides d’une changement politique, et non pas de groupes de pression organisés, auxquels Obama devra nécessairement et rapidement rendre des comptes ? Et peut-on vraiment penser que parmi ces groupes de pression on ne trouve pas le fameux complexe militaro-industriel à l’origine de la fuite en avant éperdue et criminelle que connaît les Etats-Unis depuis le complot du 11 septembre, complot d’ailleurs fomenté par de pathétiques marionnettes politiques, elles-mêmes agitées par la main invisible d’un marché démoniaque représentant des intérêts mille fois plus puissants qu’elles (je veux dire ces marionnettes) ?
On serait bien naïf ! Il convient au contraire de formuler une hypothèse que chacun, s’il a un peu de bon sens, et a su garder un minimum d’esprit critique dans cette ambiance de folie obamaniaque saura formuler : Obama est un pur produit du système capitaliste et à ce titre, il est un agent occulte, et même obscur, des puissances financières de New York et militaires de Washington. L’argent, c’est le nerf de la guerre, voilà un adage qui s’impose aujourd’hui plus que jamais, et la manne céleste ne tombe du ciel qu’une fois ou deux par millénaire à peine ! Nous sommes bien loin ici de la propagande bien-pensante que nous serinent les médias dominants (et néanmoins à la solde du capital), et unanimes (ouf ! j’ai failli oublier de le placer celui-là !), depuis des semaines. Le complexe militaro-industriel et financier a su, avec quel art pervers, faire émerger un candidat que le monde saura trouver acceptable pour que les perfides Etats-Unis puissent continuer à tuer des petits enfants désarmés partout dans le monde ! Les puissances occultes, sionistes et capitalistes, ont grâce à Obama su donner une figure acceptable à leurs actes diaboliques. Et les foules américaines hébétées par ces armes de destruction massive des cerveaux que sont la télévision et le coca-cola n’avaient plus qu’à exécuter « l’agenda caché » de leurs maîtres. Comme d’habitude ! Il n’est qu’à voir avec quelle grossière complaisance McCain a su rendre hommage à son rival ! Le bichon dont je parlais plus haut y verrait de la simple et un peu obsolète élégance, et même une conscience admirable de vivre un moment historique ! Mais les affranchis ne s’en laisseront pas compter et y verront avec moi la manifestation du complot dont je parle. McCain s’est trahi au dernier moment ! Tout ça est cousu de fil blanc et la complicité des deux hommes dans cette élection est très probable. Ils ont joué la comédie de l’opposition idéologique et du débat démocratique pour la galerie ! Le résultat était prévu, tout était écrit dans le grand livre de compte du capitalisme mondial, et le spectacle de cette parodie de démocratie ne trompera personne de sensé ! Il suffisait de nommer Palin co-listière et d’appeler certains groupes occultes à voter en secret pour Obama dans certains états clés et le tour était joué ! On ne fera croire à quiconque qui sait un tant soit peu penser par soi-même (et par personne d’autre surtout), on ne mettra en tête d’aucun esprit libre (comme le marché américain, euh pardon, je m’égare), que des millions de va-t-en-guerre hystériques se sont soudainement transformés, sous le seul effet de la rhétorique obamesque, en agneaux xénophiles !
L’habit ne fait pas le moine bien sûr, et la couleur de la peau ne fait pas la politique ! Les citoyens éclairés, dont je me flatte, toute fausse modestie à part, de faire partie, ceux qui ne se laissent pas dicter leur point de vue par le matraquage obsessionnel des médias de la pensée unique McCaino-Obamienne, auront vite fait de repérer les invariants criminels de la politique étrangère américaines sous les beaux atours de la nouvelle présidence !

Rien ne change, donc, sinon que l’oligarchie économique américaine, devant faire face à une hostilité grandissante du monde entier face à ses crimes, s’est trouvée dans l’obligation de bidonner l’élection pour donner un visage acceptable au nouveau président. Mais la ficelle est trop grosse pour nos petites mains pures et gageons qu’une enquête internationale menée sous l’égide d’une commission des droits de l’homme de l’ONU, dont l’impartialité et la grande sagesse ne sont plus à démontrer depuis Durban 1, saura le prouver !


Et la colère renaîtra, intacte, au-delà de cette parodie d’élection, pour le plus grand bonheur des foules sentimentales et avides de s’indigner !


PS : si l’on veut s’assurer de la continuité à venir de la politique raciste et anti-arabe du président états-unien, il suffit de lire le nom du nouveau président Barack Obama à l’envers, c’est-à-dire dans le sens de lecture de l’arabe, et que découvre-t-on ? Amabo Kc arab, soit une reprise à peine cryptée du mot d’ordre de l’Administration Bush : à bas les Arabes ! Moquons les Arabes !

05/11/2008

La fin de la pensée victimaire?

En ce jour de liesse, comment ne pas remarquer la classe de McCain dans la défaite et comment ne pas céder à l'enthousiasme général, par exemple en reproduisant la conclusion d'un article écrit au mois de février dernier pour Agoravox.

"Grâce à la cristallisation dans la candidature d’Obama des effets curieusement conjugués de la Bible et du 11-Septembre, plus d’un siècle après l’abolition de l’esclavage, plus de quarante ans après la fin de la discrimination, les Noirs américains paraissent être enfin sur le point de s’affranchir (...) de la discrimination spirituelle dans laquelle la pensée victimaire les avaient confinés."

L'intégralité de l'article ici.

Bon, à dire vrai, je ne suis pas sûr d'être aussi optimiste aujourd'hui : le vote massif des Noirs pour Obama (comment s'enthousiasmer d'un coeur léger d'un tel unanimisme racial?) et la solidité de la haine du reste du monde à l'encontre des Etats-Unis et de l'Europe donnent à penser que nous n'en avons pas fini, quand bien même nous le voudrions, avec les haines identitaires.

03/11/2008

Il faut sauver le soldat raciste


Le raciste américain est une espèce en voie d’extinction ? Qu’à cela ne tienne, inventons-le !

A quelques jours de l’élection d’Obama à la tête du monde, on sent une sourde angoisse qui étreint les foules européennes, et singulièrement françaises. Ils sont passés où ces gros beaufs d’Américains ? Ces évangéliques obscurantistes qui ont mené le monde au bord du précipice ? Ces fondamentalistes chrétiens, à la fois xénophobes et racistes ? Ces tarés du Ku Klux Klan qui rêvent de pendre des Noirs, de brûler des Juifs et de liquider tous les Arabes ? Ces exaltés du crucifix qui ne reculent devant rien pour nous imposer leur Dieu ?

C’est consternant ! Les Américains vont élire à la présidence un type de moins de cinquante ans, un brillant intellectuel, de gauche en plus, et métis de surcroît, la cerise sur le gâteau de l’ultra-politiquement correct, alors que nous qui sommes à la pointe de la Résistance contre l’Empire du mal bushiste, qui sommes hyper ouverts sur le monde, et à la différence, qui voulons des-ponts-pas-des-murs, on a dû se contenter d’élire un ancien maire de Neuilly-sur-Seine, Blanc de chez Blanc, un parvenu m’as-tu-vu et inculte, atlantiste et américanophile. Un métis à la Maison-Blanche ? Et pourquoi pas un chrétien à Riyad, ou un Tibétain à la tête du Politburo ? Voire un Arabe à l’Elysée (non, là, je déconne). C’est quand même pas l’Empire qui va donner des leçons de tolérance et d’ouverture sur l’Autre à la délicate Europe post-nationale ?

Eh oui, j’entends la plainte angoissée des peuples européens en crise et en mal de divertissement… Que va-t-on devenir sans Bush ? Sans notre tête de Turc favorite ? Sans notre crétin préféré ? Que va devenir le monde s’il ne peut plus se gausser de ces gros beaufs racistes d’Américains ? Montrez-les nous une fois encore qu’on se paie encore une fois leur tête et qu’on se gargarise sur le dos de leur beaufitude d’être tellement comme il faut ! Rendez-nous Borat ! Les ringards ça ne peut pas être nous quand même !

C’est donc pour se rassurer que la sphère médiatique française a dépêché en toute hâte ces jours-ci des cohortes de journalistes afin de traquer le beauf et le raciste dans l’Amérique profonde. A priori l’affaire ne s’annonçait pas trop compliquée. On nous l’a assez répété pendant des années que l’Amérique était raciste et réactionnaire ! La pêche allait être bonne ! Et là patatras ! Rien, ou presque ! Il y a bien une Armelle Vincent qui pour Rue 89 est parvenue après de très longues pérégrinations à dénicher UN nid de racistes, à Battle Mountain, Neveda ! Mais c’est à peu près tout. Il fallait donc réagir. Et, la première, la grande journaliste Mémona Hintermann, grand reporter pour France Télévisions, a su utiliser les grands moyens pour venir à bout de cette pénurie inopinée de racistes. Elle a pris le taureau par les cornes et le redneck par le cou. C’est ainsi qu’elle en est venue dans un reportage pour Soir 3, le jeudi 30 octobre, à inventer de toutes pièces un racisme qu’elle n’a pu dénicher sur place. Se rendant pour nous dans un café perdu de la ville de Bourdonnais, Illinois, elle affirme sans détours qu’ici, enfin, les « non-dits du racisme s’expriment plus ouvertement (1) », et pour illustrer son propos, elle fournit le témoignage d’une femme qui dénonce les préjugés (prejudices) à l’encontre des Noirs de ses compatriotes. Ainsi Mémona Hintermann qui nous annonce triomphalement avoir enfin déniché les racistes tant recherchés, n’a, pour étayer cette affirmation tonitruante, à nous fournir qu’une dénonciation du racisme qu’elle présente de façon très ambiguë comme étant une expression du racisme ordinaire des Américains (2). Un peu comme si pour nous prouver que les extraterrestres existent, on en venait à faire passer David Vincent pour un petit homme vert ! Elle est trop forte Mémona ! Ni vu, ni connu j’t’embrouille, j’te ressuscite le soldat raciste !

On se souvient peut-être d’une fine remarque de Jean Baudrillard à propos de SOS racisme. L’expression SOS racisme est conçue sur le même modèle que l’expression SOS Baleines. L’antiraciste a besoin du raciste pour exister. Sans racisme, il perd sa raison d’être. Plus ou moins consciemment, il cherche donc à ce que le raciste continue d’exister (comme le défenseur des baleines veut que les baleines continuent d’exister) pour qu’il puisse continuer d’incarner un mal sans lequel la vie ne vaut d’être vécue (3). On comprend donc que le monde médiatique, dont l’antiracisme est le point d’honneur spiritualiste, éprouve le besoin, au moment du triomphe d’Obama, de dépêcher ses meilleurs éléments au fin fond de l’Amérique profonde, à la recherche des derniers spécimens d’une espèce (heureusement) menacée, le bouseux raciste américain.

(1) On notera l’expression délicieusement ambiguë de la journaliste. Pour faire en sorte que le miracle de "non-dits" qui "s’expriment" advienne enfin il faut et il suffit quand on est journaliste de mettre dans la bouche de ses interlocuteurs ce que l’on veut entendre.
(2) On trouvera ce témoignage aux environs de la septième minute de la vidéo du Soir 3 du jeudi 30 octobre 2008 accessible sur le site de Soir 3 à l’adresse suivante : http://jt.france3.fr/soir3/

(3) C’est ici que le parallèle avec les baleines s’arrête, sauf chez Melville.

24/10/2008

Xavier Darcos, rebellocrate malgré lui



Dis papa, elle est belle ma révolution ?
J’aime bien Xavier Darcos, cet homme cultivé et modéré qui sans effet de manche tente de faire ce qu’il peut pour l’éducation de notre pays dans un contexte ô combien difficile. Je l’aime d’autant plus qu’il lui est arrivé d’avouer son admiration pour un immense auteur, un analyste sans égal des ravages de la modernité débridée, je veux dire Philippe Muray. Je ne peux donc m’empêcher de me demander ce qu’il pense aujourd’hui de se voir embarqué dans cette impayable « campagne permanente » des jeunes pop de l’UMP (comme ils n’ont pas peur de se baptiser eux-mêmes) qui se proclament pompeusement et en toute logique les vrais révolutionnaires de notre temps. Philippe Muray se demandait il y a quelques années qui était le nouveau rebelle de l’époque et avait cette réponse cinglante : le nouveau rebelle c’est celui qui dit oui. « Oui aux initiatives qui vont dans le bon sens, aux marchés bio, au tramway nommé désert, aux haltes-garderies, au camp du progrès, aux quartiers qui avancent. Oui à tout (...) Il veut que ça avance. Que ça avance. Que ça avance. Et que ça avance. »

La réalité selon les révolutionnaires de l’UMP a donc aujourd’hui dépassé la réalité selon Muray. Ce ne sont plus seulement les rebelles qui sont devenus de bruyants approuveurs du monde tel qu’il va, mais les révolutionnaires eux-mêmes. Les jeunes de l’UMP ont installé leurs rollers dans le sens de la post-Histoire et ils veulent que cela se sache. Ils ont décidé de dire oui à tout ce que fait Sarkozy, et ils veulent que cela se sache aussi. Que Sarkozy se déclare le président de la rupture, ils ont trouvé ça trop cool ! Tous seuls comme des grands ! Et pour faire plaisir à leur maître à penser moins et à dépenser plus, ils ont décidé d’en rajouter une couche. Rupture ce n’était pas assez, révolution c’était mieux ! Ces dignes fils à papa ont donc eu l’idée excellente de s’approprier ce que la gauche croyait avoir en propre : la révolution elle-même ! Les révolutionnaires c’est nous, et pas ces affreux gauchistes en noir et blanc, repliés sur eux-mêmes, arc-boutés sur leur conservatisme et se refusant obstinément à bouger dans le sens du vent ! On en profite qu’ils se disputent tout le temps pour leur piquer leur jouet ! La révolution, dorénavant, c’est à nous ! Bisque, bisque rage ! C’est nous qui bougeons avec l’époque (et avec La Poste privatisable aussi sans doute, malgré l’affreux petit facteur), nous disent-ils fièrement, et pas les socialistes, qui « se réfugient dans les vieilles recettes », pendant que notre président-révolutionnaire, petit père révolutionnaire d’un peuple révolutionnaire, bouscule les uns, rompt avec les autres, bref, fait bouger la France elle-même. Et tant pis pour ceux qui traînent en route, on les dépasse vite fait, nous les révolutionnaires à roulettes, et on les « bouscule » au passage, un coup d’épaule gauche en glissant et hop les voilà dans le fossé du chemin qui mène tout droit à notre bel avenir si désirable, et qu’on n’en parle plus !

Dans son adieu à Philippe Muray, Xavier Darcos fustigeait après son auteur fétiche ces « mutins de Panurge » qui n’aiment rien tant que de faire semblant de se rebeller tout en approuvant l’évolution du monde. A la lecture de cet hommage, je ne peux m’empêcher de penser que Xavier Darcos serait plus à sa place dans le parti de gauche, et donc conservateur, que le romancier Benoît Duteurtre appelait de ses vœux il y a quelques années dans une tribune parue dans le journal Libération (ça ne s’invente pas). Ou faut-il penser que cet adieu à Muray, écrit à l’occasion de la mort de l’essayiste, était à prendre au pied de la lettre ? Qu’en acceptant d’entrer dans un gouvernement sarkoziste, Darcos se devait de faire ses adieux non seulement à Philippe Muray, mais à sa pensée elle-même ? C’est possible, mais ce que pense aujourd’hui ce cher ministre de se voir embrigader, avec un air de ravi du village, dans cette campagne permanente, bougiste et pathétique que ces apprentis révolutionnaires de gouvernement, les jeunes pop de l’UMP, orchestrent aujourd’hui pour notre plus grande hilarité, Dieu seul le sait.

22/10/2008

Donne-nous aujourd’hui notre haut débit de ce jour


La numérisation de la France, une croisade pour le XXIe siècle.

Hier, j’ai fait un truc bizarre. J’ai lu de A à Z le « plan de développement de l’économie numérique » pondu par notre sous-ministre à tout faire Eric Besson. J’entends déjà les quolibets des commentateurs citoyens : Ah ces cathos, ils sont vraiment masos ! Faut-il aimer souffrir pour se farcir un truc pareil ? MDR !!!!
Peuple citoyen, suspends ton jugement ! Car la lecture de ce pavé virtuel vaut son pesant d’octets ! On y en apprend de bien bonnes, vraiment ! Par exemple qu’il existe aujourd’hui en France un nouveau droit de l’homme et du citoyen, opposable en plus, contrairement à la plupart des autres sans doute moins essentiels, qui est un droit à l’Internet haut débit. Rendez-vous compte ! Les fiers députés de la Constituante qui adoptèrent la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 s’en retournent soudainement dans leur tombe ! Ils ont oublié le droit au haut débit ! Les étourdis ! Ils auraient dû le savoir pourtant, que comme l’eau et l’électricité, le haut débit, c’est une « commodité essentielle (p.9) ! Une repentance républicaine s’impose ! Et vite ! On la veut demain sur Internet !

Mais grâce à Eric Besson rien n’est perdu. Si on se dépêche, il n’est pas trop tard pour réparer cet oubli. Pour ce faire, on nommera des ambassadeurs du numérique, sur l’ensemble du territoire. Des ambassadeurs du numérique, sur l’ensemble du territoire en plus, je vous jure que c’est vrai. C’est (en gras) à la page cinq du rapport. Certains esprits curieux se demanderont peut-être ce qu’est un ambassadeur du numérique. Bonne question. A lecture du rapport ça n’est pas très clair. On peut donc imaginer qu’à l’instar des ambassadeurs de France, les ambassadeurs du numérique s’attacheront à la défense des intérêts de ce dont ils sont les ambassadeurs, en l’occurrence le numérique. Il faut donc imaginer des hordes d’ambassadeurs – leur nombre n’est pas précisé, mais sachant qu’ils se devront de couvrir « l’ensemble du territoire », on peut imaginer qu’ils seront nombreux- sillonner les routes de France, à l’image des croisés ou des troupes révolutionnaire d’autrefois, pour défendre contre les populations arriérés des campagnes (où vivent les chouans ou les hérétiques de demain, j’ai nommé les numériquophobes) l’intérêt du numérique. Ces émissaires du digital se chargeront en particulier de faire entrer par tous les moyens non-violents imaginables les plus arriérés d’entre nous, les personnes âgées, les personnes handicapées et « à mobilité réduite » dans l’âge d’or du numérique. En langage Besson ça s’écrit ainsi. « ‘Ces ambassadeurs délivreront aux publics sensibles – personnes âgées, personnes handicapées, personnes à mobilité réduite – un service d’accompagnement vers la Télévision Numérique Terrestre (TNT). » Un service d’accompagnement délivré aux « publics sensibles ». Un « public sensible », c’est des gens qui ont l’habitude de perdre leur temps ailleurs que devant leurs écrans. Un « service d’accompagnement » c’est quoi au juste ? Sans doute des mesures visant à faire intégrer par les ouailles égarées dans les champs, ou vautrées dans leur fauteuil roulant, le peuple élu des numérisés. Plus question de flâner dans la forêt ou de boire des coups au bistrot ! Tous devant l’ordinateur, et malheur aux hérétiques technophobes ! 20% de croissance du haut débit en 2007, il trouve que c’est trop peu Eric Besson, il veut qu’on se dépêche en plus de se hâter, il trouve qu’on traîne bien trop par rapport à d’autres, à Hong Kong et en Corée du Sud par exemple, où ils sont bien plus connectés, bien plus en avance que nous sur ceux qui sont en retard! Car le numérique, c’est une question de croissance, autant dire de vie ou de mort. L’économie numérique c’est la source de plein de croissance ailleurs qu’en France, Besson nous le dit bien fort d’emblée dans son rapport, 25% aujourd’hui, 30% demain ! Pas question de s’en passer en ces temps de disette de points de croissance. Même avec les dents on ne rapporte pas grand-chose, ces jours-ci. Il faut passer au clavier et à la souris dare-dare, et sans rechigner. On n’a pas le choix ! Et en plus si c’est un nouveau droit, ce serait un crime de s’en priver !
En toute logique, Eric Besson veut aussi aller vers une plus grande « dématérialisation des échanges ». Moi qui avais l’impression que la dématérialisation des échanges avançait déjà bien assez vite toute seule, il me faut déchanter ! En France, on traîne, on traîne, sur le chemin de la dématérialisation ! Il faut passer la seconde, et que ça saute. Et pas question que les réduits du mobile traînent en route. On saura leur mettre la souris entre les reins, et débloquer les freins du fauteuil si nécessaire !
Rien ne sera épargné par la numérisation de la France qui doit devenir un fait social total, éducation, santé, entreprises, justice (« action n°128 : mettre en place la pré-plainte en ligne (p.65) »). Rien ne doit continuer d’exister hors du spectre de la France numérique.

Il se trouve que j’ai deux enfants collégiens. J’expérimente de près aujourd’hui les dégâts du tout numérique jusque dans l’éducation nationale. Aujourd’hui, certains collégiens tracent des figures géométriques grâce à une souris à l’occasion de devoirs de mathématiques réalisés à la maison sur ordinateur. Le compas et le rapporteur deviennent obsolètes. Des classes entières passent des heures à lire en classe de Français (puisqu’ils ne lisent plus ailleurs, ordinateur et télévision numérique obligent, c’est sans doute une bonne chose), parce que le professeur, un ex-handicapé du clavier récemment converti à la numérisation, plutôt que de faire cours s’échine à inscrire ses élèves sur des sites à partir desquels ils pourront réaliser des devoirs de grammaire que personne d’autre qu’un logiciel ne corrigera. Cela s’appelle, pour Eric Besson, la réduction la fracture numérique. J’appelle ça la généralisation de la bêtise institutionnelle.

17/10/2008

Modification/Suppression



Encore une proposition constructive pour faire avancer le débat-citoyen sur La Marseillaise.

La France s’interroge. Pourquoi tant de sifflets ? Pourquoi tant de bons Français, de deuxième ou de troisième génération parfois, huent-ils La Marseillaise ? A gauche, on nous ressort l’habituelle antienne à base de misère dans les quartiers et de discrimination sociale. « Je siffle, donc je résiste à l’oppression ». Les siffleurs et Jean Moulin, même combat ! On connaît, merci. A droite, on nous parle de malaise identitaire et de « déficit d’intégration » des populations d’origine extra-européenne. Je ne sais pas vous, mais moi j’ai un gros doute.
Car à lire ce qu’écrivent ici ou certains blogueurs bien Français me semble-t-il, il apparaît que la détestation de La Marseillaise ne soit pas un phénomène récent, ni surtout purement étranger. Au contraire même, cela fait longtemps que certains parmi les plus prestigieux des Français (l’abbé Pierre, Danielle Mitterrand, Michel Platini, Bernard Stasi, voir l’éditorial de Télérama du 11 mars 1992, eh oui, ça ne nous rajeunit pas) ont proposé d’amender radicalement ses paroles pour les rendre compatibles avec l’air du temps. L’immense José Bové lui-même, notre fier Astérix du XXIe siècle, avait promis lors de la présidentielle 2007, s’il était élu (j’en vois un qui rigole !), de modifier ces « paroles guerrières » qui le choquent tant. Il avait même proposé d’organiser un « grand concours » pour trouver des paroles plus gentilles et inclusives (« Allons zenfants de la prairiiiii, iheu, le jour du bioooo est tarrivéééé ! », par exemple). Les siffleurs de Marseillaise sont donc de bons Français, qui marchent (c’est le cas de le dire) fièrement dans les pas de notre élite honteuse de la vieille France moisie et de ses symboles criminels. Esclavage, colonisation, discrimination, baisse du pouvoir d’achat, la liste des méfaits successifs des gouvernements depuis Mazarin (au moins) jusqu’à Sarkozy est longue. Depuis le temps qu’elle faisait le mal en toute impunité, la France les a bien mérités ces sifflets ! Tous ces descendants de criminels contre l’humanité feraient mieux de ne pas trop la ramener quand même ! Ils feraient mieux de siffler de conserve avec les Franco-Maghrébins, plutôt ! Tous unis contre l’étendard sanglant de la tyrannie française qu’est en somme cette vilaine Marseillaise, et qu’on n’en parle plus.

Résumons. Il suffisait d’y penser, puisque La Marseillaise est sifflée, il faut la supprimer. C’est simple, clair et net.

Mais quand ce sont les Français eux-mêmes qui sont sifflés ? Que faire ?

Aller, on organise un « grand concours » ?

15/10/2008

La Plaisanterie, un épilogue (ou le communisme continué par d’autres moyens)


« La chasse est ouverte. Pour les scouts de la bonne pensée, pour le petit peuple des commentateurs, biographes, universitaires, journalistes d’investigation et fabricants de thèses, c’est devenu une occupation à temps complet. Ces gens désapprouvent la chasse réelle, mais ils raffolent du gibier symbolique. Tout homme illustre, entre leurs mains, peut devenir une bête aux abois. Le nouveau monde vertueux des louveteaux de la Vigilance a en horreur les écarts de conduite des individus d’exception. Ils les dénoncent en chaire. Ils les stigmatisent. Ce sont les propagandistes de la nouvelle foi. Mouchardage et cafardage sont leurs deux mamelles. » Philippe Muray, Exorcismes spirituels I, 1995.


« L’insoutenable poids du passé », « la mauvaise plaisanterie », « l’immoralité », gageons que la bonne presse ne sera pas avare de mauvais jeux de mots pour réécrire l’œuvre de Kundera à la lumière d’accusations qui viendront opportunément recouvrir du rideau de l’infamie privée l’oeuvre éblouissante de l’écrivain. Car c’est à cela que servent les cancans, à nous faire oublier que les grands auteurs existent, à nous barrer le chemin vers leurs œuvres. Nous préfèrerons toujours la clarté des indignations morales -surtout lorsqu’elles portent sur le passé, surtout lorsqu’elles servent à nous rassurer et à nous gargariser de notre propre et définitive bonté autoproclamée- à l’ambiguïté consubstantielle de tout art digne de ce nom.

« De quoi faire tomber un mythe », se pourléchait ainsi le speaker de service ce lundi soir sur France-Inter. A en croire l’AFP, Milan Kundera, l’immense romancier français, aurait dénoncé (le conditionnel est de moi, pas de l’AFP) en 1950 un de ses camarades alors qu’il était étudiant à Prague. Il avait alors 20 ans, et était un communiste convaincu. A l’appui de ces allégations, un site officiel tchèque fournit un procès-verbal de la police secrète de la Tchécoslovaquie communiste qui devient tout à coup un détenteur incontestable de la vérité.

Peu importe les dénégations de Kundera, peu importe les ambiguïtés du document fourni, peu importe même la rancœur d’un pays, la République tchèque, qui accepte mal que Kundera ait pu choisir avec la France la scène de la grande littérature européenne, et donc mondiale, pour échapper à la malédiction du folklore qui frappe les écrivains, fussent-ils grands, des petits pays. Non, Kundera est une cible de choix, un gibier d’exception, et la meute ne le lâchera pas. On lira à ce propos avec profit un article en anglais sur le site du journal tchèque Respekt (comme on dit dans nos cités avant de se casser la gueule), article intitulé avec une ambiguïté involontaire et délectable Kundera’s denunciation. A la simple lecture du titre de cet article, impossible de savoir s’il s’agit d’une dénonciation de Kundera ou d’une dénonciation dont Kundera est l’objet, et de fait, il s’agit bien de la dénonciation de Kundera par des employés patentés de l’Espace Bien qu’est devenu aujourd’hui, aux quatre coins de la planète, le monde médiatique.
A la fastidieuse lecture de cet article, il apparaît en effet que le principal grief retenu à l’encontre de ce grand écrivain par son pays natal est son silence face à la police de la pensée contemporaine et non pas ce qu’il aurait dit à la police secrète il y a soixante ans. Son effacement total derrière son œuvre. Depuis de très longues années, Kundera refuse de parler aux médias de son pays et d’ailleurs. Mais à l’ère de la confession complaisante et de l’exhibitionnisme obligatoire, celui qui se tait a forcément quelque chose à cacher. Kundera n’est pas revenu ailleurs que dans ses romans sur le communisme tchécoslovaque (ou plutôt bohême, le mot Tchécoslovaquie étant selon Kundera un mot trop fragile pour figurer dans un roman), et contrairement à d’autres, refuse de faire publiquement et personnellement acte de contrition devant ses ex-concitoyens attendris. Cela mérite une sanction exemplaire, sans autre forme de procès. La police contemporaine (c’est-à-dire l’administration et les médias coalisés) a les moyens de le faire parler. C’est en ce sens aussi qu’il était essentiel de faire avouer Kundera, de lui mettre dans la bouche des crimes qu’il a ou n’a pas commis, peu importe (même si je n’ai personnellement aucune raison de ne pas croire ses dénégations). Car c’est le paradoxe ultime de cette affaire, les médias tchèques auront finalement réussi à faire parler (à la fois dans le passé par cette prétendue dénonciation, et dans le présent par cette dénégation) cet auteur qui a parfaitement théorisé, notamment à propos de Kafka dans L’Art du roman, la nécessaire résistance du romancier à l’injonction d’avouer et de se livrer à la contrition publique qui sévissent aujourd’hui comme autrefois dans la sphère médiatico-administrative. C’est aussi seulement ainsi que l’on peut expliquer la comparaison qui serait autrement parfaitement saugrenue avec le « cas » Günter Grass, qui a récemment relaté dans une autobiographie son passé de SS sans que personne ne lui demande rien.
Ce goût des procès publics a été autrefois porté à son paroxysme par le communisme qu’a connu Kundera, mais, comme le note Kundera lui-même, il est à l’oeuvre dans le culte de la transparence tel qu’il sévit aujourd’hui (voir plus loin). Kundera a fait dans son œuvre un éloge ambigu de la trahison (« Mais qu’est-ce que trahir ? Trahir c’est sortir du rang. Trahir, c’est sortir du rang et partir dans l’inconnu. Sabina ne connaît rien de plus beau que de partir dans l’inconnu (L’Insoutenable légèreté de l’être, cité dans L’Art du roman) », et il a même pensé par avance le ressentiment dont sont victimes ceux qui trahissent leur patrie (L’Ignorance). La meilleure clé pour comprendre ce qui arrive aujourd’hui à ce grand auteur, c’est donc bien sûr son œuvre elle-même.

Voici donc pour conclure deux des soixante et onze mots qui composent la sixième partie de L’Art du roman et qui sont autant de clés d’entrée dans l’œuvre de Milan Kundera, une oeuvre essentielle à la compréhension du monde contemporain.

COLLABO. Les situations historiques toujours nouvelles dévoilent les possibilités constantes de l’homme et nous permettent de les dénommer. Ainsi, le mot collaboration a conquis pendant la guerre contre le nazisme un sens nouveau : être volontairement au service d’un pouvoir immonde. Notion fondamentale ! Comment l’humanité a-t-elle pu s’en passer jusqu’en 1944 ? Le mot une fois trouvé, on se rend compte de plus en plus que l’activité de l’homme a le caractère d’une collaboration. Tous ceux qui exaltent le vacarme médiatique, le sourire imbécile de la publicité, l’oubli de la nature, l’indiscrétion élevé au rang de vertu, il faut les appeler : collabos du moderne.

TRANSPARENCE. (…) Le désir de violer l’intimité d’autrui est une forme immémoriale de l’agressivité qui, aujourd’hui, est institutionnalisée (la bureaucratie avec ses fiches, la presse avec ses reporters), moralement justifiée (le droit à l’information devenu le premier des droits de l’homme) et poétisée (par le beau mot : transparence).

08/10/2008

Méprisables



« […N]ous sommes l’un comme l’autre des individus assez méprisables. » Michel Houellebecq à Bernard-Henri Lévy, Ennemis Publics, p.7.


Houellebecq nous l’annonce de si tonitruante façon en ouverture de cet Ennemis Publics qu’il cosigne avec BHL que cela ne souffrira aucune discussion. Méprisables, ils sont méprisables, définitivement. Avant même la confirmation de Houellebecq, c’était d’ailleurs un point acquis, pas la peine de revenir là-dessus. La coquetterie littéraire de cet évadé fiscal dépressif n’y changera rien, on n’est pas si bête. Ce livre n’est pas un livre, mais un « coup marketing ». Les deux escrocs qui l’ont imaginé ce coup marketing, se contenteront chacun à cette occasion de se regarder le nombril, de tendre à l’autre un miroir avantageux, on en est sûr. Pas question d’avaliser d’une façon ou d’une autre cette démarche, ce piège grossier. Pas question de se laisser manipuler, on n’est pas des gogos. Ce dialogue entre deux êtres que tout, comme on dit, sépare, sauf le mépris qu’on leur porte –s’il faut reprendre précisément les termes de ce provocateur de prisunic qu’est Houellebecq- ne mérite rien de plus qu’un mépris redoublé : acharnement à l’encontre de ces gredins médiatiques, indifférence à l’égard de l’œuvre commune, qui ne peut être que putassière et insignifiante.

Et si l’on faisait un instant au moins, exactement le contraire ? Et si l’on oubliait un moment la personnalité privée de ces auteurs pour s’intéresser à l’œuvre, à cet Ennemis Publics, et non seulement à ces ennemis publics ? Cela nous permettra peut-être d’oublier d’aller voir au-delà des apparences, d’arrêter de faire les malins, de suspendre notre redoutable jugement sur le moi profond, forcément méprisable donc, de ces deux escrocs littéraires, et de nous contenter de l’œuvre, telle qu’elle nous est offerte.

Un vilain rictus

Puisqu’il faut commencer par le commencement, ce sera d’abord l’occasion de s’interroger sur le mépris. Le mépris que l’on porte et le mépris que l’on subit. Car un être méprisable, qu’est-ce au fond ? D’un point de vue strictement moral, il s’agit d’un être digne de mépris parce qu’il serait bas ou vil. Mais à une époque d’après la morale commune, que pourrait être un être officiellement méprisable par tous ? Tout simplement, un être doit être déclaré méprisable parce qu’il peut être méprisé sans risques. C’est le sens, je pense, de l’affirmation fracassante de Houellebecq. En dehors de toute considération morale, cet être est en un sens littéral bien précis méprisable : il peut être méprisé, il y a là la possibilité de l’insulte parce que d’autres avant nous s’y sont livrés sans dommage, parce que la route jusqu’à l’invective et le crachat est dorénavant bien balisée. « Souvent, lorsque vous étiez mentionné dans la conversation, j’ai vu apparaître un vilain rictus que je connais bien, un rictus de joie basse et commune à l’idée de quelqu’un que l’on va pouvoir insulter sans risques. » (Houellebecq à Lévy p.16, souligné par l’auteur).

Têtes de turcs (p.229), cibles naturelles (p.226), ennemis publics enfin (p.229), Houellebecq ne lésine pas sur les expressions rappelant la ferveur de lynchage qu’il suscite en même temps que BHL en France aujourd’hui. Qu’on les ait lus ou non peu importe au fond, ces figures médiatiques méritent toujours le mépris qu’on leur voue puisque d’autres avant nous ont eu la bonne idée de se lâcher à leurs dépens. C’est exactement ainsi que fonctionne la meute, image omniprésente dans ce livre. Certains, dont Michel Houellebecq lui-même sans doute, trouveront à la réflexion que les chiens, ces fidèles compagnons de l’homme, sont bien maltraités dans cet ouvrage d’où surgit une profusion d’images animalisant la foule. La foule lyncheuse y est sans cesse comparée à un « gros animal (p.24) », une meute vindicative, « composée d’individus médiocres, et conscients et honteux de l’être, et furieux que leur médiocrité ait pu, l’espace d’un instant [dans l’œuvre de Michel Houellebecq par exemple], être étalée au grand jour » (Houellebecq à Lévy, p.205).

S’il s’agissait simplement pour Houellebecq et Lévy de se prétendre extérieur à la meute (« nous n’avons rien de l’animal de meute », déclare hardiment Houellebecq au début de cet ouvrage, p.16) et de la juger et de parader devant elle, et même de satisfaire narquoisement son féroce et inextinguible appétit de charognard grâce à une surenchère de confessions plus ou moins ironiques qui lui seraient jetées en pâture, ce livre n’aurait guère d’intérêt et ne mériterait pas la chronique que je lui consacre aujourd’hui. Mais le propos de cet ouvrage est autrement ambitieux. Car ce mot de « méprisable » est un écho très profond et lointain à d’autres mots (ou parfois le même) utilisés par toute une littérature, la littérature de l’aveu, auquel se réfère explicitement Houellebecq. Cette littérature de l’aveu qui pousse le confessant à se montrer devant Dieu « méprisable et vil quand [il] l’a été (Rousseau) », qui amène celui qui n’est que « terre et cendre » à implorer Dieu de le« nettoyer de tout ses secrets (saint Augustin) » est aujourd’hui magnifiquement ressuscité par ces deux auteurs dans une forme épistolaire peut-être inédite.

Quelque chose qui vous pousse à la vérité

« Il y a quelque chose, note Houellebecq (p.33), dans l’échange épistolaire qui vous pousse à la vérité, à la présence ; quoi ? ». Cette orientation du moi vers la vérité, Tolstoï l’appelle simplement dans Une confession un élan vers Dieu. Mais Dieu, à en croire Houellebecq qui est, selon ses propres termes « un athée de deuxième génération », n’existe pas. A priori, il n’y a donc nulle altérité susceptible sinon même de pardonner, au moins de mettre fin à « la spirale descendante d’une auto-accusation dont la profondeur ne peut jamais être sondée (Coetzee) », parce que le plaisir que l’on éprouve à se confesser est en lui-même une source de plaisir honteux qui mériterait d’être confessé, et ceci à l’infini. Il y a un exhibitionnisme en même temps qu’un masochisme à se confesser dans un livre. « Je me suis vautré avec délices dans Montaigne et dans Rousseau (p.33) » précise Houellebecq avant d’avouer un non moins délicieux « choc nerveux » à la lecture de la phrase cinglante de Pascal à propos de Montaigne, « le sot projet qu’il a de se peindre ». Alors, sinon Dieu, quoi ? Le lecteur ? Quel serait le but de se confesser au lecteur ? Le sentiment ou la peur d’être coupé de ses semblables, d’être mis à part, d’être réservé pour la curée de la meute susciterait en retour le besoin de socialisation qui se traduirait par un désir d’être aimé pour soi-même, ou plus précisément, d’être aimé pour ce qu’il y a de pire en soi. « [I]l y a en moi une forme de sincérité perverse : je recherche avec acharnement, avec obstination, ce qu’il peut y avoir de pire en moi afin de le déposer, tout frétillant, aux pieds du public – exactement comme un terrier dépose un lapin ou une pantoufle au pied de son maître (p.14). »

Comme un chien

C’est ici que l’on retrouve la métaphore animale, plus exactement canine, qui est au fond plus qu’une métaphore. Pour Houellebecq, il n’y a pas de différence tangible entre l’homme et l’animal (le propre chien de Houellebecq n’est-il pas dénommé Clément, du nom d’un de ses personnages éternels, l’exhibitionniste Bruno Clément des particules élémentaires). Nul cynisme ici, malgré l’étymologie bien connue du terme, mais une tentative de dépasser l’humanité dans ce qu’elle a de pire. Chez Lévy au contraire on croit sentir une confiance inébranlable dans l’humanité de l’homme, qui l’amène à ne jamais s’affranchir de la métaphore lorsqu’il évoque cette meute à ses trousses qu’il croit pouvoir défaire. Comme il ne croit plus en Dieu, Houellebecq ne croit plus en l’homme. Même la honte, ce sentiment plus fort que la mort, n’est pas exclusivement un sentiment humain. Houellebecq nous rappelle (p.240) la phrase par laquelle Kafka conclut son Procès, « c’était comme si la honte devait lui survivre ». Or il se trouve que cette phrase s’applique à un homme dont les dernières paroles avant de mourir ont été « comme un chien ». On rejoint ici les profondes images de Coetzee, notamment dans Disgrâce (Seuil, 2001), lorsque le personnage principal, David Lurie, un professeur chassé de l’université pour harcèlement sexuel, évoque le sort honteux de ceux qui incarnent le désir et le sexe masculin dans un monde qui ne veut plus les voir. « C’était un mâle. Dés qu’il y avait une chienne dans le voisinage, il s’excitait, on ne pouvait plus le tenir, et ses maîtres, avec une régularité digne de Pavlov, le battaient (…) il se mettait à courir en rond dans le jardin, l’oreille basse et la queue entre les jambes, il poussait des gémissements et essayait de se cacher (…) Ce spectacle avait un côté ignoble, qui me plongeait dans le désespoir. On peut punir un chien s’il désobéit (…) Mais le désir c’est une autre histoire. Aucun animal ne verra de justice à se faire punir pour obéir à ses instincts (Disgrâce, p.106). »

Houellebecq situe la propre disgrâce qui le frappe dans la conséquence d’une mise en scène d’un spectacle similaire. Immédiatement après avoir évoqué l’image de Kafka, il précise ce qui, selon lui, lui est reproché (p.240). Lorsqu’on a constaté que Houellebecq, en décrivant la misère sexuelle contemporaine, et notamment masculine, était susceptible d’établir « une vérité humaine générale » caractérisant les « sociétés occidentales contemporaines » on s’est empressé de le renvoyer à sa « biographie », à son « traumatisme individuel », bref à son cas particulier. Cachez cet ignoble désir que je ne saurais voir, comme chez Coetzee.
En exposant les misérables tourments de la femme adultère dans un milieu petit-bourgeois, Flaubert s’est exposé à la foudre de la censure et a fait scandale. Avec le recul, il apparaît pourtant que l’adultère féminin est un des thèmes majeurs et les plus profonds du roman du XIXe siècle. (Citons simplement cet autre chef d’oeuvre du XIXe qu’est Anna Karenine). De la même façon il apparaîtra peut-être avec le temps que Disgrâce et Extension du domaine de la lutte seront ces deux chefs d’œuvre de la fin du XXe siècle qui auront su saisir avant la sociologie, mieux que la philosophie, le désarroi du mâle désirant dans un monde tragiquement libéré.

Une parole, et je serai guéri

Suffit-il de devenir animal, comme chez Kafka par exemple, pour échapper à la meute ? Pas sûr, car la meute ce n’est pas simplement autrui coalisé, c’est aussi, bien sûr, ce que nous sommes. Que l’on en soit victime, ou que l’on en soit membre, il est finalement bien difficile de ne pas être cet « animal de la meute ». Houellebecq le reconnaît à sa façon dans un passage admirable (p.208). « La face sombre du Tat tvam asi, le « Tu es ceci » dans lequel Schopenhauer voyait la pierre angulaire de toute morale (…) c’est la reconnaissance de sa propre essence dans la personne du criminel, du bourreau ; de celui par lequel le mal est advenu dans le monde. » Houellebecq attribue donc à une sagesse orientale et schopenhauerienne la « pierre angulaire » de toute morale. C’est pourtant à un vocabulaire chrétien (Jésus-Christ, bien sûr, est la pierre angulaire de l’édifice chrétien) qu’a ici recours Houellebecq lorsqu’il parle de cette pierre. Il nous renvoie ainsi implicitement à un autre passage de l’ouvrage (p.248-249) dans lequel il avoue son goût de la liturgie chrétienne, notamment en ceci qu’elle consiste précisément à se reconnaître pécheur. « Je me revois surtout, bien des dimanches, assister à la messe, et cela pendant longtemps, dix ans, vingt ans peut-être, dans tous les domiciles parisiens où le hasard m’a conduit. Au milieu des assistances BCBG, voire carrément nobles du VIIe arrondissement ; au milieu des assistances presque exclusivement africaines du XXe ; avec tous ces gens, j’ai échangé un signe de paix au moment, prévu à cet effet, de la célébration. Et j’ai prié, enfin prié ? à quoi ou à qui pouvais-je penser je ne sais pas, mais j’ai essayé de me comporter de manière appropriée « au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise ». Comme j’ai aimé, profondément aimé, ce magnifique rituel, perfectionné pendant des siècles, de la messe ! « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole, et je serai guéri. » Oh oui, ces paroles entraient en moi, je les recevais directement, en plein cœur. Et pendant cinq à dix minutes, chaque dimanche, je croyais en Dieu ; et puis je ressortais de l’église, et tout s’évanouissait, très vite, en quelques minutes de marche dans les rues parisiennes. »
« Un signe de paix », échangé par la foule des fidèles, voilà qui s’oppose diamétralement à la foule transformée en une meute en quête d’une proie. Recevoir des paroles en plein cœur, voilà qui s’oppose diamétralement à l’incapacité de lire, de recevoir autrui, et qui nous fait rechercher toujours, partout, sur la toile et ailleurs, la confirmation de ce que nous savons déjà, afin d’enfoncer le clou.
J’ai souvent ressenti moi-même, dans plusieurs églises parisiennes, grâce à un rituel vieux de plusieurs siècles, la joie de partager un signe de paix avec mes voisins, et l’espoir, au moment de la communion, d’être guéri enfin de cette indestructible mentalité persécutrice, mais aussi l’évanescence de cette joie et de cet espoir au sortir de la messe.

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