"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

23/07/2008

Les Juifs, ce peuple rigolicide

Précisions liminaires et un peu ridicules, mais semble-t-il nécessaires: le texte qui suit n'est pas à lire au premier degré. L'auteur ne pense pas "vraiment" que la personne qui figure au centre de la photo est un tristus parce qu'il ne participe pas à la joie de ses persécuteurs. Cette photo a quelque chose de profondément scandaleux parce qu'elle nous montre la joie innocente, légère et collective de la barbarie absolue. On me presse de la retirer comme si cette joie était plus choquante que la violence qui se déchaîne sur nos écrans et sur internet. Et peut-être est-ce le cas. Cette photo est "immonde" paraît-il. Mais la question se pose alors, pourquoi? Pourquoi une telle photo est-elle insupportable dans un contexte qui se veut ironique (et non pas comique bien sûr) alors que n'y figure pas une goutte de sang, et alors qu'ailleurs sur les médias c'est la violence ricanante et décomplexée qui triomphe? Cette photo n'a-t-elle rien à nous dire sur notre rire, notre rire libéré, notre rire sans tabou? En quoi est-ce un scandale que de suggérer que nous aussi, dans nos vies quotidiennes nous pouvons être des persécuteurs, à l'image même de ces Nazis? Que nous ne sommes pas parfaitement étrangers à l'innocente gaieté de ces jeunes gens en uniforme? Par quel miracle serions nous à jamais immunisés contre cette barbarie?
Notre rire collectif, celui qui nous tient chaud, nous qui sommes si cool, nous qui sommes si jeunes, nous pourrions, nous devrions, en avoir honte. Il n'est pas sans lien avec le ricanement glaçant de ces Nazis.
Pardonne-nous nos offenses








Le droit de rigoler de tout et de rien, de tout le monde et de personne, est un droit de l’homme imprescriptible. S’il n’est pas encore gravé dans le marbre de la constitution, il faut se hâter, afin de déjouer le complot anti-galéjade qui se noue en ce moment même, de l’y inscrire !

C’est un tir de barrage, une vraie boucherie versaillaise. A moins d’une mobilisation sans faille des écrans et des claviers citoyens, la Commune citoyenne ne s’en remettra pas. Tous les notables du coin, tous ceux qui ont leur rond de serviette au dîner du CRIF y sont allés de leur funeste ritournelle. Siné, antisémite ! Ils s’y sont mis à tous, et il faut absolument faire la même chose, quitte à rabâcher un peu, pour dénoncer sans relâche leur ignoble génocide médiatique. A commencer par les agissements du sinistre du Nouvel Observateur, j’ai nommé Askolovitch, ce squatteur de plateau télé, ce jeteur de première pierre. Ils nous l’a bien crucifié notre Siné, comme un vulgaire rabbin de l’époque romaine…Des charognards par l’odeur de cadavre alléchés ces Cohen et ces Lévy, Elisabeth ou BHL qui en plus celui-là a le don d’ubiquité, histoire d’enfoncer plus encore le clou dans le cadavre cacochyme de notre amuseur national, sans doute. Pauvre Siné ! Cette incarnation du bon vieux rire bien français, bien comme il faut, juste au dessous de la ceinture, là où ça titille le Gaulois ! Siné qui ne rechigne devant aucune délicieuse facilité bien de chez nous (Au nom de quelle bien-pensance cachère le ferait-il d’ailleurs ?), ils nous l’ont lynché, ils nous l’ont viré, comme un vulgaire métallo dégraissé ! A 79 ans à peine ! Après seulement 55 ans de cotisations, lourdé comme un préretraité de base. De quel droit exorbitant un patron mettrait-il à la porte un de ses employés, dont il estime qu’il a fait une faute grave? C’est insupportable ! Un complot international ! Une vraie mise à mort ! Un lynchage médiatique ! Pire qu’un vrai ! Quand on meurt au moins, on a droit à la une des journaux, compassionnelle et obligatoire, même quand on en n’est pas parfois! Un vrai scandale de l’hypercapitalisme mondialisé, ce licenciement ! Capitalisme dont on connaît les instigateurs! Tout ça se tient ! C’est logique ! C’est prouvé même ! Alors brisons-là l’unanimité lyncheuse, la langue de bois et la chape de plomb, et courageusement désignons les responsables à la juste vindicte du peuple hilare!

La rigolophobie juive non plus n’est pas une invention, ça aussi c’est prouvé par l’Histoire. Commençons par le commencement. On le sait, Jésus n’a jamais rit, et ce n’est pas un hasard. C’est la génétique, rien de moins qui imposait à ce tristus sa figure de six pieds de long ! Mais non seulement ce peuple là ne sait pas rire, mais encore il refuse qu’on s’esclaffe sans lui, et surtout à ses dépens. Un cas typique de jalousie maladive! Je préfère casser ce jouet plutôt que tu t’en serves ! Regardez le jugement de Salomon ! Ils sont littéralement verts d’envie ! C’est la preuve encore une fois ! Ce peuple rigolicide est sérieux comme un pape et envie aux goyim leur bonne humeur naturelle et leur sens de la dérision innée! C’est l’évidence ! C’est si bon pourtant de savoir rire de soi (et aussi un peu des autres, avouons-le)! C’est la preuve d’un esprit ouvert, capable d’autodérision, comme aurait dit La Palisse, un illustre comique français bien de chez nous. Regardez comme ils ne savent pas rire ces gens-là, regardez donc le rabat-joie de la photo, on dirait un tristus au pays des rigolus celui-là, il refuse manifestement de comprendre le subtil esprit dans lequel ces bonnes blagues se font ! Quel pisse-vinaigre ! Quel constipé ! Bah, c’est loin tout ça, n’en parlons plus !

Parlons plutôt de Siné et de ceux qui l’ont précédé sur la route antique des hommes pervers, dans l’indifférence totale et citoyenne ! Souvenons-nous de Dieudonné par exemple, ce martyr-citoyen, dont personne ne parle jamais ou presque. C'est l'omerta! D’aucuns (suivez mon regard) prétendront sans rire (ils ne savent pas !) que Dieudonné fut lui-même victime d’une certaine forme d’obsession pour le peuple rigolicide au point d’appeler son propre fils Judas ! Dieudonné judéomane ? Et puis quoi encore ? A ces mauvaises langues nous répondrons que Judas n’appartient à personne et que rien ne prouve qu’il fût juif ! Touche pas à mon Judas ! Judas qui livre le Christ en le bécotant ! C’est tordant, non ? Ca dénote un esprit facétieux pas du tout rigolophobe ! Plutôt goy ma foi !

Judas était pas juif à mon avis et ça, ça explique tout !

Homo Internetus dans un souterrain



« Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. » Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol, traduction André Markowicz.

Se souvient-on des belles promesses que fit naître l’émergence du cyberespace au début de la dernière décennie du siècle précédent ? L’humanité réconciliée, censée partager dans l’euphorie et l’apesanteur céleste du réseau savoir et caresses virtuelles ? Le Jardin d’Eden cher aux chrétiens, le paradis terrestre cher aux marxistes allaient enfin se réaliser ici bas grâce à l’actualisation du cybermonde. Les vaines promesses des religions spirituelles ou politiques seraient enfin tenues, la maladie de vivre enfin vaincue…
Que reste-t-il de ce beau rêve flamboyant ? Quelques braises d’intelligence ici et là sur la toile que les crachats de bile de l’internaute du souterrain, sous la forme d’articles et de commentaires haineux, tentent d’éteindre. Partout le ressentiment avance, tel le désert selon Nietzsche. La moindre tête qui dépasse est l’objet de tous les rires, de tous les quolibets. Un égalitarisme mortifère - affranchi grâce au réseau de toutes les inhibitions liées au visage d’autrui, aux institutions et aux systèmes d’obligations réciproques de l’existence concrète - ne se reconnaît aucun frein, aucun contre-pouvoir. Homo Internetus n’incarnera pas (si l’on ose utiliser le beau mot d’incarnation à propos de cette créature ectoplasmique) la réconciliation d’Homo Sapiens avec lui-même, mais bien plutôt l’exacerbation de la jalousie et du ressentiment, l’affranchissement de tout scrupule dans le rapport avec autrui. Grâce à Internet la violence verbale sans cesse différée dans la vie réelle peut se donner libre cours dans la sécurité de la distance physique et du pseudonymat.
Et le dialogue censé enrichir tout un chacun de l’expérience d’autrui, censé nous faire sortir de nous-même ? Il semble bien que ce soit plutôt la sombre prophétie qu’Alain Finkielkraut formulait en 2000, dans Une Voix vient de l’autre rive, un ouvrage d’une lucidité impressionnante, qui soit exacte :
« La relation au monde sera privatisée, l’homme numérique gagnera sur les programmes : il verra ce qu’il veut, il fera ce qu’il veut de ce qu’il voit. Et puis, au train où va l’intelligence, la critique des médias ravira au sens commun le statut de chose au monde la mieux partagée : aucun événement n’échappant au soupçon, aucune nouvelle imprévue ne viendra plus déranger personne. Trop médiologue pour se laisser avoir, trop clairvoyant pour en croire ses yeux, le cybernaute incrédule ne reconnaîtra que les faits qui conviennent à sa croyance. La pensée sera à l’abri du donné, et alors même que tous les parcours seront possibles et toutes les options autorisées dans l’univers fluide de l’image et du texte électroniques, toutes les idées découleront de prémisses irréfutables. Chacun aura sa lubie ou son hobby, les individus se regrouperont par marottes, et, superbe paradoxe médiologique, c’est à l’époque de la communication planétaire que l’entrecroisement de logiques rigoureusement étanches remplacera le dialogue entre les hommes (p. 52). »
Trop clairvoyant pour en croire ses yeux, voici exactement défini, avant même son triomphe fracassant à l’occasion du 11-Septembre, le théoricien du complot extra et même ultralucide qui sévit ici et ailleurs.
C’est là que réside la différence essentielle entre l’homme du souterrain selon Dostoievski, qui rumine dans son sous-sol ses humiliations, et le triomphant Homo Internetus contemporain. L’homme du souterrain ne cessait de proclamer au lecteur sa propre vilenie et sa propre impuissance, son incapacité à se venger spontanément à l’image de ce que savait faire l’homme d’action d’antan, bref ses limites et ses doutes. Homo Internetus au contraire ne doute pas de lui-même, sinon du monde « qu’on », le fameux « on » « officiel », lui présente. Car il est affranchi des limites humaines par le sentiment d’avoir le monde au bout de son clavier. Homo Internetus, c’est son destin et sa vocation, argumente, prouve, démontre. Car il allie à sa haine des têtes qui dépassent une exacerbation délirante de son propre ego. Il ne cesse de fournir au monde qu’il imagine ébahi les preuves qu’il est dans la vérité. Il n’est jamais à court d’argument pour prouver qu’il pense et dit le vrai. Homo Internetus depuis le fin fond de son souterrain hurle à la face du monde que lui seul dispose de la vérité. Il ne reconnaît jamais s’être trompé, triomphe systématiquement de tous les obstacles, abat tous les murs. Homo Internetus maîtrise, il assure trop. Nul Dieu ne vient soumettre ce fils de l’orgueil. Il y a chez le cybernaute qui prétend prouver ce qu’il avance une sorte d’hybris lyrique et morose qui s’enivre de ce qu’il trouve sur la toile tel un détective. Une armée de Sherlock Holmes du XXIe siècle nous fait la leçon. On pourrait donner des noms. Les habitués de ce forum qui m’ont suivi jusqu’ici le feront d’eux-mêmes. Et le mien leur viendra peut-être à l’esprit. Mais au fond, comme le sous-entendait déjà Finkielkraut, il s’agit d’une hybris cognitive qui tourne à vide, car elle ne convainc que les convaincus. Elle ne sort pas du cercle des initiés. Nulle ouverture, nulle distance, nulle trace de la fameuse altérité pourtant constamment invoquée la larme à l’œil par Homo Internetus.
Milan Kundera parle dans son dernier ouvrage du bel âge qu’est la trentaine pour se convertir à une vision anti-lyrique de l’existence (c’est lui qui, sans être chrétien, utilise ce vocabulaire religieux). « La conversion anti-lyrique est une expérience fondamentale dans le curriculum vitæ du romancier ; éloigné de lui-même, il se voit soudain à distance... »
Il se trouve que comme l’homme du souterrain de Dostoïevski, j’ai tout juste 40 ans et, comme le déclare l’homme du souterrain, « 40 ans, c’est toute la vie : la vieillesse la plus crasse. » Depuis longtemps, l’âge de la conversion anti-lyrique est pour moi passée, et je continue cependant à hanter ce forum, à argumenter, prouver, pourfendre. A croire que la distance prise vis-à-vis de soi-même dont j’aime me glorifier ici ou là n’est qu’une vantardise de plus, une vaine subtilité rhétorique qui me rapproche plutôt qu’elle ne m’éloigne du souterrain, que dis-je du labyrinthe sans issue, fréquenté sans relâche par Homo Internetus.

10/07/2008

Ultra-moderne altitude



Se vautrer à Paris-Plage n’empêche pas de se dresser sur ses ergots. Grâce à ses projets de construction d’immeubles de très très grande hauteur à Paris, Bertrand Delanoë nous le prouve.
« Plus haut, plus haut, plus haut ! » C’est le mot d’ordre qui sévit en ce 9 juillet au matin à l’occasion du dernier Conseil de Paris de la saison, avant fermeture pour cause de plage obligatoire à Paris et de JO à Pékin. Paris n’a pas eu les JO de 2012, mais ça n’est pas une raison pour ne pas prendre de l’avance sur ceux de 2008, par exemple en remettant au goût du jour la devise de Coubertin qui fut, rappelons-le, lancée à l’occasion des jeux Olympiques de Paris de 1924 ! Ça faisait un bail ! Il était temps de dépoussiérer tout ça !
Bon, ne remuons pas plus que cela le couteau dans la plaie olympique, et contentons-nous de remarquer que depuis que les Verts sont réduits au rang d’alliés contournables, à cause de leur revers électoral du printemps, la modernitude s’en donne à cœur joie dans la capitale ! D’une seule grande tour, d’un « grand architecte », un « projet phare », on est soudainement passé, par la grâce de la majorité absolue socialiste, à seize tours, glorieusement plantées aux portes de Paris ! Huit portes fièrement ornées par de gigantesques tours qui permettront d’entasser les classes moyennes chassées du centre de la ville par la hausse de l’immobilier. Bien joué Bertrand !
Et les Verts, qu’ils sont lourds et tristes ceux-là, si ça ne leur plaît pas à ces va-nu-pieds, ces pitres telluriques, c’est pareil ! La modernité prend l’ascenseur vers de célestes hauteurs, et ça n’est pas une bande de réacs refoulés, qui seraient plus à leur place à élever des chèvres dans le Larzac, qui va l’arrêter ! En plus, l’ascenseur pollue moins que la voiture, alors pouet, pouet camembert, petit homme vert, et tant pis pour tes fromages de chèvres… Bonne route au reste de l’humanité parisienne, enfin affranchie des contraintes de la pesanteur ! Citoyen, appuie sur le bouton 60, et à toi le bonheur en apesanteur !
Ce 9 juillet à Paris, c’est la grande coalition droite-gauche qui, assemblée sous l’irréprochable bannière de la modernité, pourfend ces terre-à-terre d’écolos, écrabouille ces rabat-joie ! Il n’y a pas de raison que Paris ne soit pas dans la course des métropoles qui veulent en avoir une plus haute, une plus grande, une plus grosse. Enlarge your buildings ! Increase your size ! Car tous à droite et à gauche rivalisent maintenant d’ambition pour Paris. Depuis que le surmoi vert s’est fait tout petit petit, sans doute parce qu’il a pris une douche froide électorale, on se lâche… Non seulement il faut quelques immeubles de grande hauteur, mais il faut surtout aller plus loin, plus haut, et faire des immeubles de très très grande hauteur dit un intervenant, et même de très très très grande hauteur proclame fièrement le suivant. Jusqu’où s’arrêteront-ils ?
On a même entendu, l’enfonceuse en chef de portes ouvertes, la glorieuse modernolâtre première adjointe Anne Hidalgo, affirmer d’un ton qui n’admettait pas de réplique : « Paris n’est pas une ville achevée ».

Alors, achevons-la !

Et que vive Babylone-sur-Seine !

Ingrid Betancourt, une icône bien trop catholique


- "Alors chantant pour toi Ingrid, je veux aussi rappeler que tu combats contre un double ennemi", Renaud (pas Line, l’autre, le grand rebelle).

- "J’ai parlé ce jour avec le président Uribe et je lui ai dit qu’un accord humanitaire était la seule option que la France soutiendrait. Je suis d’ailleurs prêt à accueillir 500 guérilleros des Farc sur le territoire français dès que possible", Nicolas Sarkozy (immigrophile).

- "Je ne veux aucune récupération politique, je ne veux pas de spectacle, je veux de la joie, de la sincérité, de la pureté, de la sobriété", Bertrand Delanoë (chef du rayon "poster et placards" du Bazar de l’Hôtel de ville).

- "Cette réussite est aussi celle de la mobilisation de tous les comités de soutien à Ingrid", Raphaël Mezrahi (humoriste… pour une fois qu’il en sort une bonne !).

- « Président, je vous remercie », Ingrid Betancourt.
pourquoi?
Naguère encore, il était de bon ton pour le militant cordicole (du latin cordis, cœur, et du suffixe cole, cultiver, honorer, le militant cordicole se bat donc pour les droits du cœur à être honoré) d’affirmer haut et fort son uribophobie. Pendant des années « lutter » pour la libération « d’Ingrid » cela voulait dire, en plus d’organiser des « opérations pattes blanches » à Paris ou des descentes aux flambeaux à La Toussuire, insulter Uribe à loisir, depuis longtemps déclaré anathème pour busholâtrie par le haut clergé cordicole.
A Cordicopolis-sur-Seine, la cité idéale d’après l’Histoire si bien décrite par Philippe Muray, une seule (non) politique tenait : "libérez maman", quelles qu’en soient les compromissions. Uribe a ainsi été traîné dans la boue, insulté, traité de fasciste (lui dont le père a été assassiné par les Farc) par les militants cordicoles des comités de soutien. Ceux-ci ont même sombré dans l’infantilisme le plus irresponsable en se déclarant prêts à s’allier de loin avec le Diable pour le triomphe des affects du Bien.
Quant à notre classe politique (Chirac = Sarkozy sur ce dossier), elle a sacrifié notre diplomatie traditionnelle, notre pondération, au profit d’une politique des bons sentiments calquée sur le modèle des comités de soutien. Que Sarkozy se réapproprie pour partie la victoire, cela prouve que tout est récupérable dans le monde moderne, que tout est devenu une farce, une tartufferie, puissante car sans ennemis.
Pourtant, s’il appliquait à lui-même le principe des sanctions immédiates pour incompétence, celui qu’il a expérimenté sur le pauvre général Cuche, sacrifié sur l’autel d’un monde où le mal doit être chassé à coup de vindicte, la seule affaire Betancourt l’aurait déjà condamné depuis belle lurette !
Notre président s’était rallié, il faut le savoir, à l’idée d’une sanctuarisation du territoire des Farc pour mener à bien un "accord humanitaire" (en gros, il entérinait la fédéralisation de la Colombie), pour le plus grand profit des Farc, mouvement certes un peu turbulent, mais que l’engagement de campagne (« libérer Ingrid ») nécessitait coûte que coûte de protéger.
Comment comprendre une telle ferveur, à mille lieux de toute lucidité politique ? C’est que ces comités de soutien et ceux qu’ils convertissent se moquent comme d’une guigne de la politique ! Car ces comités de soutien, que soutiennent-ils au juste ? S’est-on, seulement posé la question ? Regardez-les qui ont tant de mal à se dissoudre aujourd’hui. Ce n’est pas tant leur objet qui compte qu’autre chose. Comme l’écrivait Muray à propos d’une autre « mobilisation citoyenne », « c’est (…) à un vaste mouvement néo-animiste que l’on assiste [avec la prolifération des comités de soutien], au sens où l’animisme repose sur la toute-puissance des idées et que ce sentiment de toute-puissance provient, chez ceux qui en sont pénétrés, d’une estimation très exagérée de leurs propres actes. » Plus encore, ces comités de soutien soutiennent avant tout leur propre droit à faire du bruit et à sanctifier les pires de leurs activités quotidiennes. Par la grâce de ces comités « c’est (…) n’importe quelle activité plus ou moins sportive ou ludique qui s’est métamorphosée en geste héroïque de mobilisation. »
Ce sont bien sûr des métaphores religieuses qui viennent à l’esprit lorsqu’on remarque la ferveur qui s’est emparée de la communauté nationale au moment de la libération d’Ingrid Betancourt. Mais un esprit un peu lucide ne s’arrêtera pas à ces clichés. Car on ne saurait confondre sans indignité la foi chrétienne qui anime l’ex-otage et le besoin de sacré parfaitement païen qui s’est emparé des foules célébrantes. Il y a religion et religion. Lorsqu’elle priait Dieu, lorsque la vierge venait lui rendre visite, Ingrid Betancourt échappait à son environnement le plus immédiat, celui qui l’aurait converti à un marxisme mortifère si sa foi ne lui avait permis d’échapper au classique symptôme de Stockholm, qui paraissait plutôt frapper à distance ceux qui depuis Paris appelaient à un compromis avec les Farc. A l’inverse exact d’Ingrid Betancourt, immunisée par sa foi contre la religion séculière, sociale et violente de ses geôliers, les membres des comités de soutien cherchaient dans la chaleur de la foule à oublier leur angoissante vacuité spirituelle tout en s’enivrant d’une bonté purement déclamatoire.
Et pourquoi pas?
Florentin Piffard, rédacteur-citoyen, et Thomas Blier, essayiste, auteur de La Violence des autres