"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin." Charles Péguy

30/01/2009

Une fessée pour l’ONU, une claque pour le Conseil de l’Europe




Interdire la fessée, est-ce abolir le Mal ?


Le Conseil de l’Europe, vénérable institution créée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le but, on ne peut plus louable, de favoriser la réconciliation des pays européens grâce à la définition et la mise en œuvre de normes dans le domaine des droits de l’homme, est aujourd’hui en pointe dans le processus accéléré de liquidation des dernières institutions susceptibles de freiner encore la disparition complète de toute forme d’autorité légitime sur cette planète. Ainsi le Conseil de l’Europe travaille à ruiner le peu d’emprise que possèdent encore les parents des pays développés sur leurs enfants en délégitimant toute forme de violence physique qui pourrait être exercée dans un cadre familial. Il s’agit ici de la continuation d’un processus de long terme, visant à prendre acte, tout en l’accélérant, de la disparition progressive des médiations entre l’enfant et le monde. La cellule familiale, nécessairement oppressive, ringarde et arbitraire, est désinvestie de toute forme d’autorité légitime à l’égard des enfants au profit d’un droit abstrait -dans le cadre duquel les enfants se trouvent dans une égalité parfaite avec les adultes- octroyé par la loi et garanti par l’action d’énormes machines collectives appelées administrations ou organisations internationales. Dans cette perspective pourtant peu réjouissante, le Conseil de l’Europe vient de recevoir un soutien de poids, celui de l’ONU, pour une démarche aussi vertueuse qu’ambitieuse : obtenir le plus tôt possible l’interdiction complète, dans tous les pays de la planète, des châtiments corporels à l’encontre des enfants.

"Construire l'Europe pour et avec les Enfants"

C’est ainsi que les parents qui aujourd’hui encore estiment devoir avoir recours aux plus légers des châtiments corporels à l’encontre de leur progéniture, telles la claque ou la fessée, se verront considérés comme des criminels, au même titre que les pédophiles ou les esclavagistes. En effet, à en croire « La stratégie 2009-2011 » dudit Conseil, stratégie fièrement intitulée « Construire l’Europe pour et avec les Enfants », « le Conseil de l'Europe devra en particulier (…) poursuivre la campagne contre le châtiment corporel (…) et lutter contre toute autre forme particulière de violence comme l’exploitation sexuelle et les abus sexuels, la traite des enfants ».
La fessée ou la claque infligées à un enfant par ses parents ne seraient donc au fond guère différentes, dans leur nature, des abus sexuels et de la traite des enfants. Cette approche globale en ce qu’elle est incapable de discriminer des phénomènes qui, pour les premiers visent (à tort ou à raison) à éduquer, et pour les seconds à exploiter pour son plaisir et à tirer profit sans limites d’aucune sorte d’êtres sans défense, me semble relever du pire de ce que la doxa iréniste contemporaine est capable de produire. Il ne s’agit pas ici de justifier la claque ou la fessée (quoique, pour ce qui concerne les auteurs de ce rapport et de ceux qui ont définis ces objectifs, et comme l’indique le titre de cet article, je serais moins catégorique), mais simplement de remarquer qu’en mélangeant ainsi des phénomènes d’ordre différents, je serais même tenté de dire opposés, on ne fait que révéler l’ineptie et le désarroi conceptuel dans lequel se trouve aujourd’hui le monde moderne.

La société, source du Mal et souverain Bien


Comment comprendre un tel confusionnisme ? S’agit-il seulement d’un avatar extrême de l’allergie à la violence institutionnelle des sociétés contemporaines ? Puisque la violence physique sur un adulte est considérée comme une agression insupportable, pourquoi en irait-il différemment pour les enfants ? Cette simple question a une force indéniable dans une époque tout entière convertie à la vertu indiscutable de l’égalité des droits.

Il y a peut-être pourtant dans cette approche une idéologie sous-jacente plus construite qui mérite d’être analysée. Selon un tenant de cette interdiction, Olivier Maurel, cité par le Figaro, la violence de nos sociétés trouverait son origine dans «le dressage violent infligé depuis des millénaires à la majorité des êtres humains au moment où leur cerveau est en formation». Abolir la fessée, ce serait donc abolir la violence de nos sociétés. On comprend que l’enjeu soit de taille, et on comprend aussi que l’on puisse ainsi amalgamer un geste éducatif ancestral et traditionnel et des comportements faisant au contraire l’objet d’interdits tout aussi traditionnels et ancestraux (le viol, l’inceste ou l’esclavage des enfants). Il y a ici à l’œuvre l’idée moderne, essentiellement rousseauiste, selon laquelle « la société » est tout à la fois la puissance responsable de l’intégralité du mal qui se produit dans le monde, et la puissance qui pourrait permettre de réparer ce mal, voire de le faire disparaître. Evidemment, un chrétien sait que le mal traverse le cœur de chaque homme, et qu’aucun projet d’éradication du mal ne saurait prévaloir sur l’humanité de l’homme, à moins de vouloir sa disparition. Mais qui entend les chrétiens aujourd’hui ?



Les projets d’éradication du mal de la société humaine ont été appliqués au cours du XXe siècle sous deux formes extrêmes et terrifiantes (l’extermination du mal « racial » avec le projet d’élimination des Juifs de la surface de la terre, et l’extermination du mal «économique » avec le projet d’élimination des « exploiteurs »), dans les deux cas ces projets se sont avérés mortifères. Aujourd’hui l’expansion infinie de la sphère des droits est une continuation de ce projet, sous une forme douce, technocratique et victimaire incarnée par l’ONU et le Conseil de l’Europe. Cette forme est certes moins terrifiante et totalitaire que celles qui l’ont précédée mais elle obéit à la même logique délirante. Il est possible, grâce à une politique volontariste, de purger entièrement la société humaine du mal qui l’habite.

Elle dispose en outre certainement d’une rhétorique moins exaltée que le nazisme ou le communisme. Mais elle s’appuie sur l’omniprésente technocratie contemporaine qui en prenant acte de la moindre prégnance des us et coutumes dans nos sociétés modernes (c'est-à-dire des interdits intériorisées par les peuples) les remplacent par un arsenal juridique répressif qui n’a rien à envier, dans ses ambitions, sinon dans ses méthodes, aux totalitarismes qui l’ont précédés. Par ailleurs, ce juridisme, en ce qu’il se prétend d’avant-garde, se moque pas mal du consentement des populations auxquelles il prétend imposer ses lois. C’est ainsi qu’en France, pays dans lequel les châtiments corporels sur les enfants sont encore tolérés, c’est près de 90% de la population qui s’opposerait à une telle législation.
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Une méthode de travail novatrice pour éradiquer la violence

Certaines mauvaises langues suggèreront peut-être qu’il n’est guère étonnant que ce soit des pays dont le taux de natalité est ridiculement bas, telle la Suède, qui soient en première ligne de la criminalisation de ces comportements ancestraux. N’ayant plus guère d’enfants à corriger, la Suède peut se payer le luxe d’un combat d’avant-garde avantageux dont elle n’aura guère à subir les conséquences pour elle-même. Ce serait prendre les choses par le petit bout de lorgnette. Car ce combat est aujourd’hui relayé, comme je l’ai indiqué plus haut, par l’ONU elle-même qui, comme le note le Figaro, veut faire de 2009 la date butoir pour l’abolition de la fessée dans tous les pays du monde. L’objectif paraît ambitieux, pour ne pas dire irréaliste. Il faudra y mettre les moyens. Examinons donc de plus près la « méthode de travail » de première efficacité sans doute que compte employer nos chères institutions, en l’occurrence le Conseil de l’Europe, pour parvenir à leurs fins. Je cite.

« L'approche intégrée, les travaux transversaux, la coordination, la coopération et la communication devraient demeurer caractéristiques des méthodes de travail. Il conviendra, dans le cadre du programme, de continuer d'utiliser les ressources existantes de la manière la plus efficace possible, d’établir les liens nécessaires entre les activités et les acteurs internes, de se servir de tous les instruments disponibles pour traiter de problèmes particuliers et d’établir des partenariats stratégiques avec des partenaires extérieurs.
Si l'essentiel des activités sera mené par l'intermédiaire des organes et acteurs compétents du Conseil de l'Europe (comités directeurs, groupes d'experts, organes de contrôle, commissions, etc.), le caractère transversal de certains thèmes pourrait appeler la création de groupes spécifiques d'experts ou de groupes consultatifs ponctuels dont le mandat devrait être clairement défini et limité dans le temps.
Au niveau du programme, la coopération interne et externe sera assurée par une plateforme permanente permettant une planification stratégique, la mise en œuvre et l'évaluation du programme.
Cette plateforme comprendra :
- l'unité de coordination au sein du Secrétariat du Conseil de l'Europe ; - la task force intersectorielle du Conseil de l'Europe ; - le coordinateur thématique du Comité des Ministres ; - un site web de référence donnant accès à toutes les informations et ressources utiles concernant les enfants produites par le Conseil de l'Europe ; - une plateforme électronique sur les droits des enfants comprenant un réseau de contacts dans les administrations, des représentants des organes du Conseil de l'Europe, des représentants de la société civile, des médiateurs, des organisations internationales et des enfants. »

C’était un peu long, je sais, mais avouez, si vous êtes encore avec moi, que ça valait le coup d’aller jusqu’au bout. Vous êtes maintenant prévenus, « La task force intersectorielle du Conseil de L’Europe » va donc s’attaquer à la fessée. Tremblez parents indignes, repentez-vous géniteurs cruels, le coordinateur thématique du Conseil des Ministres vous a à l’œil.

L’irrésistible appel aux larmes

Bon, certains cyniques, jamais avare de citations sulfureuses, susurreront peut-être à l’oreille du paternel terrifié : «une plateforme électronique sur les droits des enfants même dotée d’un « réseau de contacts dans les administrations », combien de divisions ? ». Pourtant, ce serait une grave erreur de sous-estimer la puissance de feu conjuguée du Conseil de l’Europe et de l’ONU, monstrueuses officines de propagande de la doxa droits-de-l’enfantistes qui triomphe aujourd’hui. Elles disposent encore, pour leurs projets mortifères, et grâce à la mobilisation du cœur, à l’appel aux larmes et au bon usage de mots de d’ordre irréfragables (« sauvez les enfants », « égalité des droits ») de toute la force spirituelle dont est encore habitée le monde moderne.

Fl. Piffard

PS : j’embrasse tendrement au passage mes petits trésors, qui depuis bien longtemps maintenant n’ont plus reçu ni claque ni fessée de leur papa-blogueur. Et ce malgré l’irritation qui s’empare parfois du papa-blogueur à la lecture de certains commentaires laissés sous ses articles, irritation qu’il n’a malheureusement pas le loisir de calmer sur leurs auteurs, en conséquence de quoi le papa-blogueur pourrait être tenté de prendre sa progéniture pour bouc émissaire. Mais non. Promis, juré, j’ai rien fait de mal. Je suis innocent comme l’agneau qui vient de naitre. Puisqu’il s’agit de donner la parole aux enfants (« Construire l’Europe pour et avec les Enfants »), et si tant est qu’on me demande encore mon avis, je suis près à les faire témoigner.

28/01/2009

Pas de négationnistes dans l'Eglise

Je ne peux que partager la consternation et l'appel de ces intellectuels catholiques.



Pas de négationnistes dans l'Eglise.

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22/01/2009

L’ogre philanthropique a faim

La nouvelle bête immonde est d’une tendresse implacable. Plus elle s’émeut de ces images bouleversantes qui nous viennent de Gaza, plus elle réclame pitance. L’émotion lui creuse l’appétit. Un contre deux cents, l’ogre philanthropique (1) trouve ça injuste. Comment lui donner tort ? Comment serait-il rassasié avant que l’équilibre ne soit rétabli ? Il est comme ça l’ogre aujourd’hui, rien ne le met en appétit comme l’injustice. Un ver solitaire appelé domination lui vide l’estomac. Une vieille recette éculée nommée colonisation lui met l’eau à la bouche. La faim de justice le tenaille, qui ne saurait être assouvie qu’avec de la chair fraiche. Au menu, l’ogre nouveau veut de l’ennemi de l’humanité, le seul qui sache agrémenter ses pleurs. Dévorer l’ennemi la larme à l’œil, pour le bien de l’humanité entière, voilà le programme, une nouvelle version, en vert et rouge, d’une mauvaise production du XXe siècle. Plus larmoyante encore que l’originale, mais pas moins sanglante, j’en ai peur.

Les ogres d’autrefois, d’avant ce maudit XXe siècle, avaient des visées plus modestes. Se remplir la panse leurs suffisait, ils ne nous infligeaient pas un laïus pour justifier leur appétit insatiable. Ils se foutaient comme de leur première paire de bottes de nous plaire. A mille lieux de l’hideux ogre d’antan qui effrayait les enfants, l’ogre nouveau s’émeut de leur indéniable martyr, et prétend les défendre. Nul ogre des contes de fées de nos grand-mères ne pensait accomplir une bonne action en dépeçant ses proies. Nul ogre de nos légendes ne se réclamait de la paix pour prêcher la haine des ennemis de l’humanité. C’est que contrairement à son ancêtre, l’ogre moderne est un humaniste. D’une implacable douceur, l’ogre nouveau pleure la mort atroce des tout-petits pour mieux jouir du festin à venir. La douleur inconsolable d’une mère est son viatique, et son ticket restaurant.

Débarrasser l’humanité de ses ennemis définitifs, voilà l’ambition, et même le devoir qui s’impose à l’ogre philanthropique. Sa faim le travaille comme une bonne action à accomplir.

La main sur le cœur et la bave aux lèvres, dégoulinant d’une atroce bonté, l’ogre philanthropique affute son couteau. L’ennemi du genre humain ne perd rien pour attendre.


(1) Cf. Philosophie et Modernité, Alain Finkielkraut, 2009, p.92.

16/01/2009

L'invention de l'islamophobie

« Le vrai pouvoir appartient à celui qui maîtrise les noms » Alberto Manguel.

« Nous vivons, aujourd’hui, dans un univers où existent des puissants lobbies de la victime, où aujourd’hui on ne peut plus persécuter, où on ne peut plus exercer la violence que par l’intermédiaire d’un discours victimaire, d’une défense des victimes. » René Girard, entretien avec Marie-Louise Martinez, 1994.

L’islamophobie aujourd’hui serait partout triomphante en Europe, et singulièrement en France. Il n’y aurait rien de plus urgent que de la dénoncer. A la suite de l’incendie criminel qui a endommagé la porte d’une mosquée de la région de Lyon le 20 décembre 2008, l’indignation de la classe politique fut unanime. Le président de la République, avant même que l’enquête ne fût vraiment commencée dénonça « un acte honteux et raciste », certains représentants autoproclamés de la communauté musulmane quant à eux, appelèrent à l’adoption d’une loi réprimant l’islamophobie. En quelques années seulement, sans discussion ou presque, ce mot s’est partout imposé dans l’usage courant en français. Depuis 2005 il est même entré dans le dictionnaire (1).

Comment comprendre un tel déferlement « d’islamophobie », au moins dans le vocabulaire ? Serait-ce que la France serait prise d’une fièvre de haine à l’encontre des musulmans que de valeureux citoyens s’efforceraient de dénoncer face à une masse de gens hostiles ? La généralisation de l’emploi de ce vocable plaide contre cette hypothèse. Il faut chercher une réponse ailleurs, et se demander si l’adoption de ce mot n’est pas révélatrice de quelques vérités désagréables sur la France d’aujourd’hui.

Notons en préalable qu’en aucun cas il ne s’agit ici de nier l’existence du racisme en France à l’encontre des maghrébins ou des noirs. Ces questions sont délicates et celui qui s’exprime sur ces sujets le fait sous le contrôle d’une certaine police de la pensée prompte à dénoncer le racisme avéré ou supposé de qui ose aborder ces questions sur un autre ton que celui de la vertueuse indignation. Le racisme existe en France, même si intuitivement j’ai tendance à penser qu’il est en régression. Les personnalités parmi les plus populaires dans notre pays, Yannick Noah et Zinedine Zidane, ne sont pas des Français « de souche » et ce serait leur faire injure que de penser qu’ils servent d’alibi pour camoufler un racisme resté intact. Les collectivités locales subventionnent la construction de très nombreuses mosquées partout sur le territoire français, les cantines prévoient parfois des repas Hallal, le fait religieux est de plus en plus enseigné à l’école dans un souci louable d’ouverture à la culture des populations immigrées, et les conversions de Français à l’islam est un phénomène en plein essor, selon le journal Le Monde (2), notamment dans les milieux les moins éduqués qui peuvent être plus sensibles que d’autres à l’idéologie qui règne dans leur environnement immédiat. Les attaques racistes à l’encontre des immigrés d’origine maghrébine sont restées très marginales (comparées à la haine antisémite ou anti-immigrés italiens ou polonais avant la seconde guerre mondiale par exemple) et n’ont peu ou pas augmentées depuis le 11 septembre 2001 et la montée de l’intégrisme islamique. Il n’en reste pas moins que la discrimination raciale ou ethnique dans certains domaines (tels que le logement ou l’embauche) existe et doit être combattue, mais le racisme et la discrimination n’ont rien à voir avec ce que l’on appelle l’islamophobie.L’islamophobie est un concept de construction récente dont il convient de comprendre comment et pourquoi il s’est imposé aussi rapidement et massivement.

L’usage du mot islamophobie s’est généralisé en France et plus généralement en Europe après les attentats du 11 septembre 2001. Ce seul fait pourrait paraître surprenant. Alors que l’on aurait pu s’attendre au développement de discours dénonçant la nouvelle haine dont est victime aujourd’hui l’Occident, dont le 11 septembre aurait été un symptôme frappant, c’est un terme visant à stigmatiser la haine d’une religion non-occidentale, et dont se réclamaient les auteurs des attentats du 11 septembre, qui s’est imposée. Pourquoi ? En fait tout se passe comme si certains chercheurs et intellectuels tel Vincent Geisser et bien d‘autres avaient anticipé après le 11 septembre la montée d’une islamophobie qui aurait pris le relais de l’antisémitisme traditionnel français (3). Selon Elisabeth Schemla (Halte aux feux, Flammarion, 2006, p.154) le mot islamophobie a été employé presque simultanément par trois hommes très influents sur les questions qui nous occupent, proches les uns des autres, au lendemain du 11 septembre 2001. Il s’agit d’Alain Gresh, alors rédacteur en chef du Monde Diplomatique, de Tariq Ramadan Frère musulman présumé et star islamique avérée des médias, et du journaliste au Monde Xavier Ternisien qui s’est immédiatement mis à enquêter sur la montée de l’islamophobie en France après le 11 septembre (4). Il s’agissait alors de s’inquiéter des répercussions sur les minorités musulmanes occidentales des attentats de New York et Washington. On s’attendait à ce que de nombreux membres des minorités musulmanes soient attaqués par des meutes d’excités décidés à se venger de ce qui venait de se passer. Or, il ne s’est rien produit de tel. C’est l’antisémitisme qui s’est accru en France après les attentats du 11 septembre, et non le racisme antiarabes. Il n’en reste pas moins que le mot islamophobie s’est imposé en quelques années, et est aujourd’hui entré dans le langage courant. La consécration par la loi d’un délit d’islamophobie est même envisagée par la pensée progressiste comme une avancée qui serait dans l’ordre des choses. Ainsi un article de l’influent site internet Rue 89 présente dés le titre la reconnaissance d’un délit spécifique « d’islamophobie » comme un progrès, et la lenteur supposée des institutions à intégrer dans leur champ lexical ce néologisme d’origine islamo-gauchiste comme un insupportable retard. Lorsque l’usage du concept est considéré par les médias dominants comme un progrès allant dans le sens de l’histoire, on peut être à peu près sûr que ses défenseurs ont gagné la partie : ses opposants pourront être considérés comme des ringards xénophobes voués aux oubliettes de l’histoire.

La meilleure preuve en est que ce mot est aujourd’hui employé par les plus hautes autorités de l’Etat, dont on sait à quel point aujourd’hui elles se réclament de la modernité modernante. Lors d’un voyage officiel en Algérie en décembre 2007, Nicolas Sarkozy a ainsi tenu à dénoncer l’islamophobie au côté de l’antisémitisme dans le contexte d’une déclaration presque ouvertement antisémite d’un ministre algérien. C’est d’ailleurs une caractéristique assez frappante des déclarations politiques dénonçant l’antisémitisme aujourd’hui. Les hommes politiques français se sentent contraint d’ajouter immédiatement qu’ils dénoncent l’antisémitisme seulement au même titre qu’une supposée « islamophobie », comme s’il s’agissait de s’excuser de devoir le faire (5).

Selon les défenseurs de ce concept, l’islamophobie est donc au choix une forme spécifique de racisme ou une version moderne de l’antisémitisme traditionnel de la société française. Pourtant les mots racisme et antisémitisme ont une origine sémantique très différente. Le mot racisme a été inventé au XIXe siècle par un pamphlétaire français, Gaston Méry. Cet auteur mettait dans la bouche d’un héros de roman, Jean Révolte, roman de lutte, « la défense de cette idée neuve le « Racisme » ». Il s’agissait en l’occurrence de promouvoir les vertus d’un racisme « antiméridional », ce qui prouve que le racisme, au moins sous certaines formes, est susceptible sinon de disparaître tout à fait, au moins de s’atténuer fortement. Le racisme est donc un concept qui a été créé avec une connotation méliorative. De même le mot antisémitisme (dans son sens d’opposition aux Juifs) a été crée dans un sens positif par un journaliste allemand, Wilhelm Marr, au moment du développement d’un mouvement ouvertement antijuif en Europe. Racisme et antisémitisme sont deux termes apparus en Europe dans le contexte de la propagation d’une idéologie affirmant la suprématie de la culture occidentale ou d’une partie de la culture occidentale sur une autre. Ce qui compte ici c’est de souligner que ces deux mots ont été avancés comme des instruments de combat pour mobiliser la population européenne dans le cadre d’un projet politique. Les racistes et les antisémites s’assumaient comme tels et racisme et antisémitisme étaient devenus fédérateurs pour ceux qui s’en réclamaient. Avec le mot islamophobie, les choses sont à la fois similaires et différentes. Similaires parce que, comme dans le cas du racisme et de l’antisémitisme jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, le mot islamophobie est une arme pour ceux qui l’utilisent. Différentes parce qu’il s’agit ici de dénoncer ceux qui s’en rendent coupables, et non pas bien sûr de l’assumer pour soi. Le mot « islamophobe » a semble-t-il été pour la première fois utilisé dans les années 1920 par un peintre français converti à l’Islam à propos d’un jésuite accusé de « délire islamophobe », avant de se généraliser dans les années 1980 à 2000 sous l’influence conjuguée des Ayatollahs iraniens et autres frères musulmans, et de l’extrême-gauche européenne. Mais peu importe l’origine précise de ces différents concepts, ce qui compte ici pour mon propos est de remarquer que raciste et antisémite étaient à l’origine mélioratifs tandis qu’islamophobe est dès l’origine péjoratif. Point de détail ? Pas si sûr, si la capacité d’imposer l’usage d’un mot est un attribut du vrai pouvoir, comme l’affirme Alberto Manguel (dans le journal L’Humanité !). Les racistes et les antisémites ont su imposer leurs idées à l’Europe du début du XXe siècle. Ce triomphe du racisme et de l’antisémitisme a marqué l’histoire européenne au cours de la seconde guerre mondiale et l’histoire de la colonisation (même si cette dernière ne se réduit pas, loin de là, à l’application des idées racistes développées en Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle). Aujourd’hui ce sont ceux qui veulent culpabiliser leurs adversaires politiques qui ont su imposer l’usage du mot islamophobie. Plus encore ce sont ceux qui se déclarent victimes de cette islamophobie qui ont su imposer l’usage de ce mot. Faut-il en conclure que ce sont ces derniers qui possèdent « le vrai pouvoir » et sont en mesure de réduire au silence et de renvoyer aux ténèbres extérieures de l’illégalité et du racisme ceux qui souhaitent critiquer librement la religion musulmane ? Si nous devions prendre au sérieux la thèse selon laquelle le vrai pouvoir est aux mains de celui qui maitrise les noms, il faudrait répondre oui. Le pouvoir de nommer les choses est donc passé des mains des persécuteurs (réels) à celui des victimes (autoproclamées telles). C’est cette dépossession, ce transfert de souveraineté symbolique qui constitue la nouveauté de l’époque que nous vivons.

Il convient en outre de comprendre ce que signifie ce basculement : lorsque les mots ne servent plus à définir un contenu positif (6) mais un contenu négatif, ils deviennent des instruments de dénonciation. Ainsi l’islamophobie est-elle parfois présentée comme un impensé ou une idéologie refoulée par ceux qui l’éprouvent. Alors que l’islamophobie est aujourd’hui dénoncée jusqu’au sommet de l’Etat, comme on l’a vu ci-dessus, il arrive que des institutions comme par exemple tel conseil régional du culte musulman (institution créée, rappelons le, à l’initiative de l’actuel Président de la République) dénoncent « l’islamophobie institutionnelle » en France. C’est le serpent qui se mord la queue. Les pourfendeurs de l’islamophobie sont donc des institutionnels qui dénoncent la nature islamophobe des institutions !

En outre la construction du mot même souligne la nature à la fois irrationnelle et archaïsante de ce que l’on dénonce. Tel le xénophobe, qui est le modèle sur lequel le mot a été construit, l’islamophobe s’oppose à ce qu’il ne connaît pas, ce qui lui est étranger et fait preuve d’irrationalité. Comme le souligne Alain Besançon dans son excellente préface à l’ouvrage posthume de Jacques Ellul sur l’islam (Islam et judéo-christianisme, PUF, 2004) « l’islam se donne pour une religion rationnelle, la seule religion rationnelle (p.22) ». A l’inverse pour les musulmans, le christianisme, avec ses mystères et son dogme trinitaire, est toujours suspecté d’irrationalisme. L’accusation d’islamophobie dont seraient frappées les masses occidentales sous l’influence plus ou moins conscientes d’une peur irrationnelle trouve sa source pour une part dans un cliché musulman à l’encontre du christianisme selon lequel celui-ci serait une superstition, irrationnelle comme toutes les superstitions, et que l’islam est amené à terme à supplanter.

Mais bien souvent, ce n’est pas seulement l’irrationalité chrétienne et occidentale qui est pointée par le mot islamophobie. Plus radicalement, c’est parfois la civilisation occidentale tout entière en ce qu’elle serait fondée sur « le rejet de l’islam » qui est ainsi dénoncée. L’islam, tiers exclu de la civilisation occidentale, en serait ainsi, de façon seulement apparemment paradoxale, le principe fondateur. Ce sont les thèses du philosophe Alain de Libera développées par exemple dans le hors série du Monde Diplomatique Manière de voir n°64 (2002) (qui contient par ailleurs un article de l’omniprésent Tariq Ramadan qui réussit, rare privilège, à écrire à la fois dans Le Monde et dans Le Monde Diplomatique), thèse selon laquelle “le rejet [du monde arabo-musulman] est un fait, quelque chose qui a eu lieu et a si profondément imprégné nos mentalités que l’identité européenne s’est bâtie sur lui... C’est ce rejet qu’il faut considérer ou plutôt débusquer (...) Les deux moments mythiques de la première construction européenne, disons de sa fondation culturelle -la Renaissance et les Lumières- ont un point commun : la haine de l’Orient et l’arabophobie”.Selon cette thèse le « rejet de l’Orient », rebaptisé aujourd’hui islamophobie, est le principe fondateur de l’Occident moderne, rien que cela.

Certains lecteurs auront peut-être reconnu ici une version très hétérodoxe de la thèse du penseur catholique conservateur René Girard, pensée selon laquelle les civilisations, toutes les civilisations et toutes les cultures, sont fondées sur le principe du bouc émissaire -principe suivant lequel il faut, pour maintenir la stabilité des institutions, que la violence de la communauté soit purgée sur le dos d’un de ses membres qui se trouve ainsi dans un même mouvement exclu et divinisé par cette même communauté. René Girard précise aussi que ce principe sacrificiel commun à toutes les cultures a été détruit par la révélation judéo-chrétienne. Le Christ intervient dans l’Histoire pour affirmer l’innocence de la victime des lynchages et sacrifices. C’est donc aujourd’hui la révélation judéo-chrétienne qui se retourne contre elle-même ! Chacun appréciera ou n’appréciera pas l’ironie involontaire des thèses d’Alain de Libera. Selon Girard, à l’époque moderne la polarisation violente sur une victime n’est plus source de sacré. L’unanimité du tous contre un est sans cesse dénoncé grâce à notre connaissance (de source évangélique) du mécanisme sacrificiel et de l’innocence de la victime (un bouc émissaire, terme inventé par la modernité européenne dans le sens de victime innocente).

Le mot islamophobie a donc bénéficié pour son succès des efforts conjugués d’une partie de l’extrême-gauche française qui, désirant se donner le beau rôle des défenseurs de victimes et participer à ce qui est devenu une industrie intellectuelle, c’est-à-dire la dénonciation du racisme congénital des Français, a tenu avant même que les faits ne lui donne raison à pointer une fantasmatique montée du racisme antiarabe, et de l’autre d’une partie des musulmans eux-mêmes qui ont été encouragés par cette même extrême-gauche à revendiquer pour eux-mêmes le rôle de « juif-bouc émissaire » contemporain dans la société française. Dans la France contemporaine, les victimes potentielles bénéficient d’une aura de sacralité et d’attention de la part de la communauté nationale, aura qui amène beaucoup de monde à convoiter leur place, tant qu’elle reste symbolique bien sûr. Cette place est d’autant plus enviable qu’on y est beaucoup plus à l’aise pour persécuter les gens. C’est le sens de la remarque de René Girard placée en introduction de cet article. L’obsession de l’islamophobie chez certains musulmans de France notamment devient parfaitement compréhensible. Le problème, bien sûr, est que les musulmans trouvent cette place occupée, et avec quelques raisons, par les descendants des victimes de la Shoah. On comprend dés lors l’obsession du modèle communautariste juif qui se manifeste aujourd’hui chez certains musulmans de France. Par exemple c’est sur le modèle du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France) qu’est créée en décembre 2008 la CRI (Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie, le F pour France s’est malheureusement perdu en route, histoire sans doute que le modèle juif ne soit pas trop évident), organisme dirigé par un certain Abdelaziz Chaambi (7).

C’est ainsi que la concurrence des victimes joue à plein. Ce CRI prétend à la manière du CRIF pour les Juifs jouer un rôle de gardien des intérêts communautaires des musulmans. Ceux-ci réclament aujourd’hui l’installation de caméras de surveillance dans les lieux de cultes musulmans afin que les mosquées françaises ressemblent enfin aux synagogues de notre pays. La dénonciation du « deux poids deux mesures » dans le traitement des faits divers concernant par exemple les attaques contre les bâtiments religieux est incessante (même si les attaques de lieux cultuels juifs à Toulouse à Strasbourg et à Saint-Denis et les dégradations des synagogues de Lille et Mulhouse passent presque inaperçues malgré l’actualité brûlante au Proche-Orient (8)). Par ailleurs, on met dans la bouche de figures médiatiques juives de notre pays des attaques imaginaires contre l’islam. C’est ainsi que nombres de sites musulmans ou favorables à l’islam reprennent une accusation du Centre Islamique de Genève, tenu par les Frères musulmans, selon laquelle Bernard-Henri Levy aurait écrit en 1997 dans le journal Le Monde que « c’est la nature intrinsèque de l’Islam qui pousse au crime ». Après des recherches approfondies dans les archives du journal, il apparaît que cette citation est fausse. Elle est d’autant plus calomnieuse qu’à l’époque Bernard-Henri Lévy venait de prendre position de façon courageuse pour les musulmans bosniaques et avait signé peu de temps auparavant un film sur la situation en Bosnie intitulé Bosna qui mettait en avant la résistance et défendait la cause des musulmans de Bosnie face aux Serbes.

Y a-t-il de la place pour plusieurs communautés « victimes » en France aujourd’hui ? Certains parmi la communauté musulmane ont décidé de prendre ce qu’ils pensent être la place des Juifs. Le mimétisme est d’ailleurs frappant. A en croire nos manifestants du samedi, les Palestiniens ont aujourd’hui pris la place des Juifs dans les camps de la mort (Gaza c’est 1000 fois pire que la Shoah, comme cela s’est dit sous les applaudissements, avec une pointe d’exagération peut-être, lors de la manifestation pro-palestinienne du 10 janvier dernier à Paris), alors que les Juifs ont pris la place des nazis dans l’imaginaire palestinien et au sein d’une partie de la communauté musulmane en France. C’est pour cela que depuis de longues années le conflit israélo-palestinien, en ce qu’il met en scène de façon fantasmatique des palestiniens pacifistes et désarmés d’un côté et une armée suréquipée de type occidental de l’autre, est une aubaine pour ceux qui tiennent à bousculer la donne sur la scène médiatico-politique en France. Les Juifs apparaissent dans le cadre de ce conflit comme des bourreaux et les Palestiniens comme des victimes. Il suffit de transposer ce schéma à la France pour faire des Juifs français des bourreaux et des Arabes de France des Palestiniens victimes. Le nombre de keffiehs palestiniens arborés par les manifestants est à cet égard frappant. Ceux qui s’indignaient du « nous sommes tous Américains » de Jean-Marie Colombani au lendemain du 11 septembre 2001 devraient le reconnaître, on voit plus de keffiehs dans les rues françaises aujourd’hui que de chapeaux de cow-boys au lendemain du 11 septembre sur les têtes des Français. Il ne faut pas dès lors s’étonner des « débordements » des manifestations pro-palestiniennes lorsqu’on prétend, ne serait-ce que symboliquement, importer l’intifada en France.

En janvier 2009, alors que se multiplient en France les actes antisémites, se sera imposé dans la bouche des autorités françaises la criminalisation d’un néologisme, l’islamophobie, dont le sens, étymologique au moins, renvoie à la peur d’une religion, peur dont on ne sache pas qu’elle devrait être, dans un régime aussi strictement laïque que celui de la République française, répréhensible, ni a fortiori délictueuse ou criminelle. C’est cette double étrangeté que j’ai tenté de réfléchir dans cet article.

(1) Selon le Petit Robert (2006), l’islamophobie est une « forme particulière de racisme dirigée contre l’islam et les musulmans, qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins ». Une forme particulière de racisme dirigée contre l’islam, une religion ? Le racisme distingue des races et non des religions. On a connu le Petit Robert mieux inspiré, mais la nature bancale de cette définition révèle l’ambigüité du concept lui-même. Ceux qui ont imposé l’usage du mot islamophobie en France auront donc réussi à introduire dans le lexique de la langue française un mot dont la définition, à suivre un dictionnaire de référence, est privée de sens.

(2) « Le nombre des Français convertis à l’islam est impossible à établir avec précision. Leur pratique religieuse est généralement sans histoire. Néanmoins, le phénomène connaît un tel essor, ces dernières années, que les Renseignements généraux y prêtent une attention particulière ». Article de Piotr Smolar dans Le Monde du 13 juillet 2005.

(3) « derrière le rejet du Musulman pointe aussi le rejet du Juif, mais là il y a un tabou », dit par exemple le sociologue Vincent Geisser sur le site Oumma.com, avant de stigmatiser, comme cela est devenu rituel aujourd’hui, le deux poids deux mesures.

(4) Dès le 20 septembre 2001, après avoir mis en doute la culpabilité « arabe » dans les attentats du 11 septembre, Tariq Ramadan écrivait : « l’islam et les musulmans vont être stigmatisés ». La machine à victimiser était en marche. Et quelques mois après avoir écrit ces lignes, Tariq Ramadan conclut un autre article dans Le Monde (le « journal de référence » aime décidemment donner la parole aux Frères Musulmans) qui prétend examiner l’existence d’un « antisémitisme islamique » par cette phrase magnifique d’hypocrisie. « Au nom d’une commune éthique citoyenne, notre dignité sera fonction de notre capacité à savoir critiquer, au-delà de toute appartenance confessionnelle, tout Etat et toute organisation à l’aune des principes du droit sans considérer qu’il s’agit d’une manifestation d’antisémitisme ou d’islamophobie. » La mise en équivalence de l’islamophobie et de l’antisémitisme est un des principaux moyens de noyer le poisson de l’antisémitisme islamique par les tenants de l’usage du mot islamophobie.

(5) Voir par exemple la déclaration récente de Jean-Christophe Cambadélis qui stigmatise dans un même mouvement l’islamophobie et l’antisémitisme après l’attaque d’une synagogue à la voiture bélier à Toulouse et l’agression en bande d’une jeune fille juive à Villiers-le-Bel, ou celle plus récente encore du ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie qui constate (sur quelle base ?) une augmentation des actes « islamophobes » en France au même titre que celle des actes antisémite alors que trois synagogues ou lieux de cultes israélites viennent d’être incendiés. Et enfin cerise sur le gâteau, Nicolas Sarkozy déclare le 14 janvier après ces attaques que « l’antisémitisme, l’islamophobie seront condamnés avec la même sévérité ». Les historiens le constateront peut-être un jour, c’est à l’occasion de la recrudescence d’actes antisémites que le délit d’islamophobie s’est vue reconnaître un statut identique à l’antisémitisme en France.

(6) Positif au sens de « contenu réel et organisé » et non pas au sens de bon ou bénéfique. Je ne pense pas que le racisme et l’antisémitisme soient des idéologies positives, je pense même exactement le contraire.

(7) Un membre du Collectif des Musulmans de France et des Indigènes de la République, proche de Mustapha Brahimi, ancien responsable du FIS, principal parti politique islamiste algérien selon Caroline Fourest.

(8) Si l’on veut une liste non exhaustive des actes antisémites commis ses derniers jours en France on pourra se reporter à cet article paru sur le site du Nouvel Observateur.

06/01/2009

Mais kestu bois Doudou dis-donc ?


Apprendre l’argent en s’amusant nous propose La Poste, n’est-ce pas le bon moment ?
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Faire la queue à La Poste de son quartier pour y retirer un colis après les quelques dizaines de minutes de queue règlementaire n’est pas toujours une partie de plaisir, mais cela peut être, grâce au zèle du service marketing de la vénérable institution, une bonne occasion de rigoler. J’étais pourtant loin d’imaginer le fou rire solitaire qui m’attendait (patiemment lui aussi), alors que je piétinais ce matin dans le froid, avant même l’ouverture du bureau, au bout d’une file déjà longue de quelques individus courageux. Seule la chaleur dont bénéficiait sans doute l’employé matinal qui s’activait derrière son guichet me semblait être une bonne raison de vouloir faire le pied de grue à l’intérieur plutôt que dehors dans la neige en compagnie de mes camarades d’infortune.
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Néanmoins, et nonobstant ma courte déception tout de suite après avoir constaté que l’unicité du guichet ouvert en cette heure matinale révélait une fois de plus la nature velléitaire de mes efforts pour arriver à l’heure au boulot, à peine entré dans les austères locaux de l’établissement je fus pris d’un fou rire aussi inattendu qu’incontrôlable. En effet, au niveau de la nuque du valeureux usager qui me précédait pendouillait au bout d’un fil en plastique un panneau publicitaire (reproduit ci-dessus) dont le message était des plus réjouissants pour l’esprit caustique qui m’habite dés le petit jour, même après avoir affronté une température à faire grelotter et douter le plus convaincu des réchauffés de la planète. La raison pour laquelle cette réclame pendait si bas qu’elle gênait la file des usagers dans sa très lente et tortueuse progression n’était pas difficile à comprendre. Cette publicité s’adressait, par le truchement d’un A ludiquement transformé en une espèce de Barbapapa grotesque et vraisemblablement sous l’emprise de l’alcool, aux petits enfants de 0 à 11 ans qui désirent, il n’est jamais trop tôt pour déconner comme les grands, « apprendre l’argent en s’amusant ».
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L’expression est elle-même amusante, à défaut d’être tout à fait française. Ce qui est sûr en effet c’est que les enfants, s’ils sont susceptibles grâce à cette réjouissante initiative de La Poste « d’apprendre l’argent », quoique cela puisse vouloir dire, ne risquent pas d’apprendre en même temps la grammaire.
Mais La Poste a le sens des priorités. Car il est vrai qu’en 2008, et durant les années qui ont précédé, les grands ont su prendre, et puis perdre, et puis reprendre, et puis reperdre, « l’argent en s’amusant ». Ce serait une discrimination criminelle que de ne pas offrir à nos chères têtes blondes l’opportunité d’en faire autant, même si c’est avec les sous de papa-maman. Après tout, nos banquiers eux-mêmes font aujourd’hui la même chose avec l’argent de l’Etat qui est, n’en doutons pas, ce qui reste aujourd’hui de plus solide en matière de symbolisation paternelle ou (plus sûrement) maternelle pour l’ensemble des Français.
Evidemment, comme les histoires d’amour, les jeux d’argent finissent parfois mal, nous avons tous payé pour le savoir, mais c’est un détail qui n’a apparemment pas préoccupé plus que leur premier bas de laine les audacieux créatifs de la Banque Postale, soucieux de pimenter l’attente des usagers de La Poste d’un peu d’humour noir, et de syntaxe approximative.

A la vue de son état actuel, le doute n’est pas permis. Notre petit doudou en forme de A majuscule aura bientôt la gueule de bois. Ce sera pour nos chers bambins une autre occasion d’apprendre, moins ludique sans doute, mais plus efficace, que celle proposée par le service marketing de cette grande entreprise publique, que reste encore, malgré toutes les apparences, La Poste.

Comme le disait en substance et mieux que moi le grand La Fontaine, qui disposait il est vrai d’un bestiaire autrement fourni que celui que nous avons ici sous les yeux, il est rare qu’une bonne leçon ne se paye d’une façon ou d’une autre. Avec ou sans intérêt, la question reste ouverte.

05/01/2009

Je suis envieux, et alors ?



« Quelle voix s’élèvera pour prendre la défense des envieux ? » Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite.

Depuis la nuit des temps l’envieux a mauvaise presse. Toutes les cultures, toutes les civilisations ont stigmatisé à l’envi et généralement de la plus rude des façons le sentiment d’envie en ce qu’il est la source des pires désordres et la marque d’une âme mauvaise. Malgré la prolifération contemporaine des briseurs de tabous, personne à ma connaissance ne s’est lancé dans une défense de l’envieux. Alors que les autres pécheurs capitaux ont tous été réhabilités par la modernité et son agent de propagande qu’est la publicité –la luxure n’est-ce pas trop cool et indispensable (ceux qui diront le contraire seront des frustrés, et la frustration n’est-elle pas, avec la nostalgie, le péché capital moderne par excellence?), la gourmandise, un défaut sympa et plein d’avantages en cette période de récession, etc. ?- seul l’envieux continue de subir la vindicte du bon peuple modernant. C’est que l’envieux, mauvais perdant, convoite la perte de celui qu’il n’a pu égaler. Telle la mauvaise mère du jugement de Salomon, l’envieux veut priver autrui d’un bien qui lui échappe. Ses yeux injectés de sang sont rivés sur l’inaccessible bonheur du voisin. L’envieux se fait une bile noire et un visage d’outre-tombe à convoiter vainement ce qui lui échappe. L’envieux a le teint glauque et les traits creusés par les insomnies que lui cause le bonheur d’autrui. Tapi dans l’ombre tel le péché, il échafaude les pires machinations pour déposséder son rival du bien dont il paraît comblé. Bref, l’envieux veut le mal. Et comment défendre celui qui veut le mal ?

Pourtant en cette époque où il semble si tendance de brûler les voitures d’autrui dans la rue au nom de la lutte contre les inégalités, ou encore, au lieu de chercher à prendre soin de la population dont on a la charge, de balancer des roquettes sur son voisin lorsqu’il prétend vous ignorer trop royalement à coup de barrière de sécurité, il me semble urgent de réhabiliter les envieux et le sentiment qui les animent. Il faut entendre, avec toute la compassion dont notre époque si généreuse sait habituellement faire preuve, le désarroi qui s’exprime dans ces gestes qui ne sont rien de moins que des appels au secours d’âmes à la dérive. Pour cela, il faudrait d’abord se débarrasser de ce vilain mot qu’est le mot envie. Il suffira de dire que l’envieux n’est pas méchant au fond, qu’il n’est pas envieux, mais qu’il manifeste par ses actes de destruction une volonté bien légitime de dénoncer une injustice dont il est victime. L’envieux n’est pas un mauvais bougre, il se contente de vouloir la justice sociale ou politique. Il fait le mal certes, mais au nom du bien, ou plutôt, soyons précis, au nom du seul bien qui existe c’est-à-dire son bien, dont le bien (matériel) d’autrui paraît le priver. C’est un assoiffé de justice sociale. C’est ainsi que l’on sacrifiera avec profit à une coutume moderne qui consiste à donner à une chose ancienne un nom nouveau. L’horrible envie disparaitra sous le fard de la soif de justice. Tout beau tout neuf, merci L’Oréal.

Mais peut-être certains trouveront cette approche, quoique moderne dans la forme, un peu archaïsante dans le fond. La justice sociale n’est-elle pas un idéal un peu dépassé ? Pour moderniser notre approche, il suffira alors de voir notre prétendu «envieux » comme un apprenti capitaliste. Car qui est l’« envieux » au fond, sinon celui qui n’a pas sa part de gâteau pleine et entière, ou plutôt celui à qui sa part de gâteau ne semble pas être assez grosse ? Il adhère pleinement aux valeurs consuméristes de l’époque, notre « envieux », et à ce titre seulement, il mériterait déjà une réhabilitation complète et définitive. Sa violence contre les biens ou même la vie d’autrui manifeste son adhésion totale au monde du marché, et pour cela, il mérite toute notre gratitude et notre reconnaissance. Applaudissements pour « l’envieux » !


Comme tout le monde, il m’arrive d’être envieux. Professionnellement par exemple, j’envie ceux qui réussissent aisément, là où je trime comme un forcené pour obtenir quelques résultats. Jusqu’à récemment je n’en étais pas fier. J’avais même tendance à le cacher en me déclarant bruyamment satisfait de mon sort. En comprenant que l’envie que j’éprouve n’est que la face cachée et le nom culpabilisant d’une injustice, j’ose enfin l’affirmer à haute et intelligible voix. Je suis envieux, et alors ? Bientôt, je n’en doute pas, je me sentirai habilité à me livrer aux pires mesquineries à l’encontre de ceux qui m’entourent au nom de cette injustice. Qui osera me le reprocher ? Et surtout, au nom de quoi le ferait-on?